certer d’avance l’ambition possible du gouvernement français. Je n’examinerai pas ici, monsieur, jusqu’à quel point l’opinion de lord Melbourne sur la conquête d’Alger par la France est en elle-même raisonnable et juste ; ce n’est pas la question qui m’occupe. Mais je veux constater par ces paroles remarquables que l’Angleterre, bien que blessée dans ses intérêts peut-être, et assurément dans ses préjugés nationaux, par certains évènemens qui se sont accomplis au dehors depuis quelques années, sait pourtant se contenir, ne prend pas feu au moindre frottement, à la moindre discordance de vues politiques, à la moindre contrariété dans les relations commerciales. Croyez-vous qu’elle en pèse d’un moindre poids dans les destinées du monde, que son honneur en souffre, que sa véritable puissance y perde ? Voit-on que, dans les questions vitales, elle fasse plus de concessions, agisse avec moins de décision et de vigueur, parle avec moins de hauteur et d’efficacité ? Pour moi, j’aime cette liberté dans l’alliance des deux peuples ; je n’entends pas que leur union soit une fusion complète ; car une pareille fusion n’est pas possible ; et, si l’on ne se réservait mutuellement quelque latitude, il y aurait bientôt, de part ou d’autre, infériorité, assujétissement, abdication des intérêts propres. L’Angleterre est l’alliée de la France, mais elle n’en est point le satellite ; la France est unie à l’Angleterre par des liens très étroits, mais elle n’a pas la prétention de l’entraîner constamment dans son orbite. D’accord sur le but général, et sur quelques grandes questions européennes, les deux puissances obéissent ensuite sur des points secondaires à leurs affinités particulières, aux lois de leur situation, à des traditions diverses ; elles poursuivent chacune leurs intérêts, bien qu’opposés quelquefois, et respectent l’une chez l’autre la dignité, la force et les nécessités de leurs gouvernemens. Voilà de quelle manière j’entends, pour mon compte, notre alliance avec l’Angleterre, et il faut savoir gré à lord Brougham d’avoir exprimé ces sentimens, d’avoir développé ces vues avec beaucoup d’élévation, de force et d’éclat, dans sa réponse au virulent discours de lord Strangford.
Vous saurez donc que lord Strangford trouve fort mauvais le blocus des ports du Mexique et de la Plata par les forces navales de la France. Dans sa sollicitude pour les intérêts américains, il épouse même une petite querelle que nous avons maintenant avec le Brésil, au sujet des limites méridionales de la Guyane française. Le gouvernement ayant, par des motifs d’urgence, ordonné, en 1836, l’établissement d’un poste français sur un territoire dont la propriété nous est contestée par le cabinet de Rio-Janeiro, lord Strangford signale dans ce fait assez insignifiant une nouvelle preuve de la soif de conquêtes qui nous dévore, et plaint de tout son cœur cette malheureuse cour du Brésil, exposée à nos injustes agressions. À le voir transporté d’un si beau zèle pour l’indépendance des nouveaux états de l’Amérique du sud et l’inviolabilité de leur territoire, je ne m’étonne plus que d’une chose, c’est qu’à la fin de son discours lord Strangford n’ait pas jugé à propos de rappeler au gouvernement anglais qu’il détient sans titre, depuis quel-