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de commerce, perdit bientôt les vestiges de sa grandeur première. La cathédrale est le seul monument qui atteste encore ce qu’elle fut autrefois. Incendiée à diverses reprises, Drontheim a si fraîchement été rebâtie, qu’on la prendrait pour une ville née d’hier, pour une de ces villes manufacturières d’Angleterre ou d’Amérique qui surgissent tout d’un coup. Ses rues sont bien percées, régulières et larges, si larges qu’on y remarque à peine le peu de monde qui y passe, et qu’on pourrait parfois les croire désertes. Ses maisons en bois, revêtues d’un stuc blanc, ornées d’un péristyle, d’un fronton, d’une colonnade, ressemblent, pour la plupart, à de superbes édifices en pierres. Ses magasins bordent tout un côté du golfe et les deux rives du Nid ; ils reposent à moitié sur terre et à moitié sur pilotis. Les bâtimens viennent, au pied de la porte qui s’ouvre sur l’eau, charger et décharger les marchandises. De distance en distance, on voit quelques-uns de ces magasins qui sont séparés l’un de l’autre, et qui forment entre eux une espèce de baie où le paysan des îles voisines arrive les jours de foire sur son bateau à voiles, avec sa femme et ses enfans.

Entre toutes ces rues si fraîchement bâties et si fraîchement peintes, où la plaque en cuivre du comptoir orne chaque porte, où les denrées coloniales et les denrées du Nord, placées symétriquement derrière les vitres, attirent le regard à chaque pas, il en est une plus large et plus belle que les autres où l’on revient toujours avec une émotion poétique : c’est la Munkgade (rue des moines). Là, d’un côté, on aperçoit la cathédrale isolée et debout sur les tombes du cimetière comme une éternelle pensée de vie dans l’empire des morts ; de l’autre, le golfe, les montagnes bleues qui le terminent, et la tour de Munkholm, bâtie sur un rocher au milieu des flots. Lorsque Canut-le-Grand vint, en l’an 1028, prendre possession du royaume de Norwége, il bâtit sur cette île un cloître. C’était un de ces cloîtres dont l’aspect seul devait donner à l’âme une impression solennelle, un cloître comme celui dont parle René, où la lampe du sanctuaire brillait de loin comme un fanal aux yeux du matelot égaré dans sa route, où le chant de l’espoir religieux, l’hymne de salut, résonnaient à travers le souffle de l’orage et le mugissement des vagues. La réformation renversa l’autel que les tempêtes de la mer n’avaient pas ébranlé ; les religieux quittèrent leurs cellules, et le couvent de Munkholm devint une forteresse. C’est là qu’une barque chargée de soldats conduisit un Jour Griffenfeld, cet enfant du peuple devenu grand seigneur, cet étudiant devenu ministre, cet homme d’état dont le Danemark déplora la perte. C’est là qu’il vint expier ses rêves d’ambition et ses phases de grandeur. Il passa dix-huit ans enfermé dans sa prison (de 1680 à 1698). Exilé du monde où il avait vécu, dépouillé des titres qui l’avaient paré, précipité tout à coup des splendeurs d’un palais dans l’ombre d’un cachot, il appela à son secours la poésie et la religion, ces deux fidèles divinités du malheur. Il traduisit les psaumes de David et crayonna autour de lui des sentences morales. Un de ses biographes nous a conservé celle-ci que j’ai essayé de traduire :