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heure à l’ordre et à l’économie. Margot serrait le linge et le vin, avait la haute main sur la vaisselle, qu’elle ne daignait pas laver, mais elle mettait le couvert, versait à boire et chantait la chanson au dessert. Les servantes de la maison ne l’appelaient que Mlle Marguerite, car elle avait un certain quant-à-soi. Du reste, comme disent les bonnes gens, elle était sage comme une image. Je ne veux pas dire qu’elle ne fût pas coquette ; elle était jeune, jolie et fille d’Eve. Mais il ne fallait pas qu’un garçon, même des plus huppés de l’endroit, s’avisât de lui serrer la taille trop fort ; il ne s’en serait pas bien trouvé ; le fils d’un fermier, nommé Jarry, qui était ce qu’on appelle un mauvais gas, l’ayant embrassée un jour à la danse, avait été payé d’un bon soufflet.

M. le curé professait pour Margot la plus haute estime. Quand il avait un exemple à citer, c’était elle qu’il choisissait. Il lui fit même un jour l’honneur de parler d’elle en plein sermon et de la donner pour modèle à ses ouailles. Si le progrès des lumières, comme on dit, n’avait pas fait supprimer les rosières, cette vieille et honnête coutume de nos aïeux, Margot eût porté les roses blanches, ce qui eût mieux valu qu’un sermon ; mais ces messieurs de 89 ont supprimé bien autre chose. Margot savait coudre et même broder ; son père avait voulu, en outre, qu’elle sût lire et écrire, qu’elle apprît l’orthographe, un peu de grammaire et de géographie ; une religieuse carmélite s’était chargée de son éducation. Aussi Margot était-elle l’oracle de l’endroit ; dès qu’elle ouvrait la bouche, les paysans s’ébahissaient. Elle leur disait que la terre était ronde, et ils l’en croyaient sur parole. On faisait cercle autour d’elle, le dimanche, lorsqu’elle dansait sur la pelouse, car elle avait eu un maître de danse, et son pas de bourrée émerveillait tout le monde. En un mot elle trouvait moyen d’être en même temps aimée et admirée, ce qui peut passer pour difficile.

Le lecteur sait déjà que Margot était filleule de Mme Doradour, et que c’était elle qui lui avait écrit, sur un beau papier à vignettes, un compliment de bonne année. Cette lettre, qui n’avait pas dix lignes, avait coûté à la petite fermière bien des réflexions et bien de la peine, car elle n’était pas forte en littérature. Quoi qu’il en soit, Mme Doradour, qui avait toujours beaucoup aimé Margot, et qui la connaissait pour la plus honnête fille du pays, avait résolu de la demander à son père, et d’en faire, s’il se pouvait, sa demoiselle de compagnie.

Le bonhomme était un soir dans sa cour, fort occupé à regarder