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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/521

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DU VANDALISME.

comme à Saint-Omer, la brutalité municipale poussée assez loin pour démolir, sous prétexte de donner du travail aux ouvriers, les plus belles ruines de l’Europe centrale, celles de l’abbaye de Saint-Bertin, et marquer ainsi, d’un ineffaçable déshonneur, les annales de cette cité.

Combien de fois d’ailleurs ne voit-on pas la destruction organisée dans nos villes, sans qu’il y ait eu même l’ombre d’un prétexte ? Ainsi à Troyes, n’a-t-on pas mieux aimé détruire la charmante chapelle de la Passion, au couvent des Cordeliers, changé en prison, et puis en reconstruire une nouvelle, que de conserver l’ancienne pour l’usage de la prison ? Ainsi à Paris, peut-on concevoir une opération plus ridicule que ce renouvellement de la grille de la Place-Royale, que la presse a déjà si généralement, mais si inutilement blâmée ? Mêlé à cette affaire par les protestations inutiles que j’ai été chargé d’élever en commun avec M. Du Sommerard et M. Taylor, à l’appui des argumens sans réplique, des calculs approfondis et consciencieux de M. Victor Hugo, j’ai pu voir de près tout ce qu’il y a encore de haine aveugle du passé, de considérations mesquines, d’ignorance volontaire et intéressée, dans la conduite des travaux d’art sur le plus beau théâtre du monde actuel. Cette vieille grille avait en elle-même bien peu de valeur artistique ; mais elle représentait un principe, celui de la conservation. Et les mêmes hommes qui se sont ainsi obstinés à affubler la Place-Royale d’une grille dont on n’avait nul besoin, ne rougissent pas de l’état ignominieux où se trouve Notre-Dame, par suite de l’absence de cette grille indispensable qu’on leur demande depuis sept années ! Peu leur importe, en vérité, que la cathédrale de Paris soit une borne à immondices, comme le dit avec tant de raison le rapport du comité des arts au ministre. Ils trouvent de l’argent en abondance pour planter un anachronisme au milieu de la plus curieuse place de Paris, et ils n’ont pas un centime à donner pour préserver de mutilations quotidiennes, d’outrages indicibles, la métropole du pays ; pour fermer cet horrible cloaque qui est pour Paris et la France entière, pour la population et surtout pour l’administration municipale, une flétrissure sans nom comme sans exemple en Europe[1].

Lorsque l’on voit sortir des exemples pareils du sein de la capitale, c’est à peine si l’on se sent le courage de s’indigner contre les actes des municipalités subalternes : toutefois il peut être bon de les signaler. Disons donc qu’à Laon, cette immense cathédrale, trop sévèrement jugée, ce nous semble, par M. Vitet[2], l’une des plus vastes et des plus anciennes de France, si belle par sa position unique, par ses quatre tours merveilleusement transparentes, par le symbolisme trinitaire de son abside carré, par le nombre prodigieux

  1. En 1837, lors de la discussion, à la chambre des pairs, sur la cession du terrain de l’archevêché à la ville, on éleva quelques objections sur cette cession à titre gratuit. Il fut répondu que l’état était suffisamment dédommagé par l’obligation que contractait la ville d’entourer ce terrain d’une grille ! On voit comme cette obligation a été bien remplie.
  2. Page 58 de son rapport au ministre.