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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

tenait de trop grandes hardiesses pour qu’il fût possible de lui donner une entière publicité. Les deux écrits du comte de Boulainvillers qui l’exposent et le développent, l’Histoire de l’ancien gouvernement de la France et les Lettres sur les Parlemens, circulèrent en copies du vivant de l’auteur, et ne furent imprimés que cinq ans après sa mort, en 1727. Il y avait là de quoi exciter l’attention générale et remuer vivement les esprits. L’instinct de la liberté politique reparaissait dans cette nouvelle théorie de l’histoire de France, et en outre elle touchait à des passions rivales qu’elle flattait d’un côté et que de l’autre elle irritait en les blessant. Comparée à la théorie, si naïvement simple, de François Hotman, elle marquait un véritable progrès pour le talent d’analyse, la pénétration, la faculté de discerner les problèmes fondamentaux et les points délicats de notre histoire. De grandes questions y étaient entrevues et d’importantes distinctions établies ; ce mot jusque-là sans retentissement : « Il y a deux races d’hommes dans le pays, » était prononcé de manière à frapper toutes les oreilles. Le vice capital du système de Boulainvillers, pour ce qui regarde les temps antérieurs au XIIe siècle, consistait dans l’omission d’une série entière de faits, celle qui prouve la persistance de la société gallo-romaine sous la domination des Barbares, et dans une fausse idée de la nature et des conséquences de l’établissement germanique en Gaule, idée fournie par la logique, par un raisonnement superficiel, non par l’observation et l’intime connaissance des faits. Pour ce qui suit le XIIe siècle, le gentilhomme publiciste a mieux vu, sans avoir mieux jugé ; il a aperçu le grand mouvement de transformation de la société française et le rôle de la royauté dans ces révolutions successives. Ses conclusions, quoique partiales, ses interprétations, quoique erronées, frayèrent le chemin qui devait conduire au vrai. C’était une révolte contre le cours des choses, une protestation impuissante contre les tendances sociales de la civilisation moderne ; mais ces tendances étaient là, pour la première fois, nettement reconnues et signalées.

On trouve dans le second écrit du comte de Boulainvillers une portion moins étroitement systématique, plus complète, plus étudiée que le reste, l’histoire des états-généraux du XIVe et du XVe siècle. Ce travail, entièrement neuf pour l’époque, a depuis servi de base ou de thème à beaucoup d’essais du même genre ; il n’a jamais été refait sur les sources avec un pareil développement. L’immense intérêt du sujet semble ici entraîner l’auteur hors de ses préoccupations ordinaires et le lancer dans une voie plus large et plus sûre. Au lieu