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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/158

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avant Emmanuel Kant, Épicure avant Helvétius, Platon avant saint Augustin, Zénon avant saint Bernard, et Lucien avant Voltaire. Ainsi, chaque penseur aurait son ascendant direct, et, quant aux écoles, si méritantes que soient celles d’Écosse et d’Allemagne, il serait injuste d’oublier qu’elles sont venues vingt siècles plus tard que les trois grandes écoles grecques, l’Académie, le Lycée et le Portique. D’où l’on peut conclure que la philosophie moderne, fille vivante de la tradition, a presque tout emprunté à l’antiquité, tout, excepté la croix et la ciguë.

Mais, s’il en est ainsi pour les sciences qui procèdent de la réflexion pure, il en est autrement de celles qui s’appuient sur l’observation extérieure. Ces dernières, nos aïeux n’avaient pas mission pour nous les livrer toutes faites, car c’est le temps qui les fonde et qui les agrandit. On peut, dans le monde des idées, nier la perfectibilité ; dans le monde des faits, il est impossible de la méconnaître. Ici le progrès est évident, continu, quotidien ; il se touche au doigt, il se suppute, il se mesure, il devient une vérité mathématique. C’est le cas où se trouvent les sciences physiques et naturelles ; c’est celui de la géographie surtout. La géographie est une science née d’hier ; elle s’est construite de nos jours et sous nos yeux : sa tradition sérieuse remonte à peine à trois cents ans. L’antiquité n’en connaissait guère que les aspects fabuleux et naïfs, et, si nous ne craignions pas d’encourir le reproche fait aux enfans de Noé, nous pourrions rire, sur ce point, de la nudité paternelle. Rien n’est plus bouffon que cette cosmographie où le ciel repose sur des colonnes dont Atlas est le gardien ; rien n’est plus curieux que ces périples de navigateurs qui emploient deux ans à traverser la mer Égée au milieu d’enchantemens sans nombre. Ce sont là des rêves de poètes, ce n’est point une géographie.

Certes, pour en créer une, ce n’était ni la force, ni l’étendue qui manquaient au génie antique, c’était la base même de la science, la récolte des faits. Cette récolte devait être l’œuvre des siècles, et ici l’intuition ne pouvait pas suppléer la découverte. Long-temps avant que le globe eût obéi à la main patiente qui le dompte, la pensée qui a des ailes avait pu visiter les sphères idéales ; mais l’observation qui va lentement, soit qu’elle chemine le bâton du voyageur à la main, soit qu’elle ouvre la voile du navigateur à des vents capricieux, avait besoin, pour étendre sa sphère d’action, qu’on lui rendît les mers plus sûres et les continens plus praticables. La civilisation lui devait des routes, la science des instrumens nautiques ; c’est là ce qui a retardé son avénement. Il a fallu que peu à peu l’astro-