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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/159

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VOYAGEURS ET GÉOGRAPHES MODERNES.

labe remplacât le gnomon, cet agent imparfait des mesures astronomiques, et que la boussole offrît, sur l’immensité liquide, des points de repère plus sûrs que les chanceux relèvemens d’une constellation polaire. Ce progrès s’est continué sous nos yeux par le chemin de fer dans la viabilité terrestre, et par la vapeur dans la navigation maritime : le chronomètre, ce dernier mot du calcul horaire, complète le lot de notre temps. Qui sait ce que les aérostats réservent à l’avenir ?

Si les instrumens concouraient ainsi, par une amélioration graduelle, à l’établissement de la géographie, les évènemens historiques ne la servaient pas moins. Tout lui était bon : les conflits de races, les chocs de peuples, les invasions de barbares, la conquête, la propagande. Elle profitait tout autant des désastres de la guerre que des loisirs de la paix, et butinait dans les palais comme sur les décombres. Voir, pour elle, c’était savoir ; le mouvement était son ressort, la locomotion son génie. Peu lui importaient les symboles, les couleurs, les bannières ; elle s’associait à toutes les causes sans les juger, elle se mêlait à toutes les luttes sans en partager les passions. Prompte à se transformer, elle fut, ainsi et successivement, commerçante avec les Phéniciens, poétique avec les Grecs, guerrière avec les Romains, inculte avec les Barbares, religieuse avec les croisés. Un jour, à la suite des fils de l’Islam, elle sortait des déserts arabiques, longeait le littoral de l’Afrique septentrionale, et venait planter sa tente aux pieds des Pyrénées ; un autre jour, sur la foi d’un pressentiment, elle s’embarquait avec Colomb et aventurait son premier enjeu dans une loterie qui devait lui rapporter deux mondes. Tantôt elle s’inspirait du génie catholique de l’Espagne qui cherchait, au-delà des mers, des ames à conquérir ; tantôt elle s’identifiait au génie commercial de l’Angleterre, qui voyait, sur tout le globe, des colonies à fonder. Point d’exclusion, point de fierté chez elle : que l’on fût un grand guerrier comme César, ou un pauvre moine comme Rubruquis, un historien éloquent comme Polybe, ou un conteur naïf comme Marco-Polo, un infidèle comme Aboul-Feda, ou un saint missionnaire comme le père Verbiest, la géographie, curieuse seulement de faits, se préoccupait peu des personnes ; elle suivait d’un œil aussi bienveillant l’étape pénible du pèlerin isolé que la marche triomphante des escadres qui la promenaient autour du monde comme une reine. C’était par-dessus tout une science collective, qui frappait à toutes les portes et recevait de toutes les mains, afin d’élever ce monument auquel chacun devait apporter sa pierre,