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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/160

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REVUE DES DEUX MONDES.

sans que personne fût autorisé à lui donner son nom. Cette phase d’élaboration patiente a été longue ; elle se poursuit de nos jours, elle ne s’achèvera qu’après nous. Mais le gros de la moisson est évidemment recueilli, et, pour en reconnaître la richesse, il importe peu qu’une centaine de gerbes reposent encore, éparses et oubliées, dans les mille sillons de la plaine.

COUP D’ŒIL HISTORIQUE.

Pour simplifier l’histoire de la géographie, il faut scinder les temps en deux parts fort inégales, mettre d’un côté cinquante-cinq siècles, de l’autre trois. Avant et après Colomb, telles sont les divisions naturelles de la science. Dans la première époque, la géographie est à l’état d’enfance ; elle semble honteusement confinée dans un coin de la terre, elle bégaie, elle se berce de contes ; dans la seconde, elle grandit, comme par un prodige soudain, et s’empare du globe d’une main virile. Ainsi font, au dire des naturalistes, certains aloës qui, long-temps étiolés et rabougris, retrouvent, à un instant donné, tout l’arriéré de leur puissance végétative et croissent de plusieurs pieds en vingt-quatre heures.

Que de temps il a fallu pour fonder une géographie mathématique qui méritât ce nom ? Nos aïeux ont vécu trente-six siècles sans se douter de la sphéricité de la terre, ce principe que comprennent aujourd’hui les enfans. On lit bien dans les vedas hindous que l’univers a la forme d’un œuf ; mais, quand les mêmes livres parlent de notre globe, ils le dépeignent comme une montagne qui a perdu son équilibre, et qu’un dieu, transformé en tortue, soutient sur sa carapace. Les Égyptiens, trop vantés pour leurs connaissances astronomiques, n’en savaient guère plus que l’Inde sur les phénomènes terrestres. Les Grecs même, qui semblent avoir concentré chez eux les rayons de ces civilisations éparses, les Grecs ne se montrèrent d’abord ni observateurs plus intelligens, ni géomètres plus précis. Homère fait de la terre un disque qu’entoure le fleuve Océan ; Thalès en fait une ellipse, Hérodote une plaine, Anaximandre un cylindre, Leucippe un tambour, Héraclide un bateau. Chacun énonce ainsi son hypothèse, jusqu’à ce qu’Eudoxe de Cnide, selon les uns, Philolaüs de Crotone, suivant les autres, se soit déclaré pour la forme sphérique. Dès-lors ce système prévaut ; Aristote lui donne l’autorité d’un fait, Possidonius et Ératosthène s’en appuient dans leurs mesures terrestres ; Hipparque, Pline et Strabon en font sortir des déductions fécondes ; enfin Ptolémée, père de la géographie mathématique chez