Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
168
REVUE DES DEUX MONDES.

échelle des faits, l’enseignement de cette science n’exigera que peu de qualités et des qualités modestes. Une patience suffisante pour feuilleter tous les documens, assez de critique pour les juger, assez de méthode pour les ordonner avec harmonie, telles seront les trois vertus essentielles du géographe qui doit savoir, comparer et classer. Le voyageur a un plus beau rôle ; il crée pendant que le géographe résume ; il se réfléchit dans ce qu’il voit et donne son empreinte à ce qu’il observe. L’un opère sur la nature vivante, l’autre sur la nature morte.

M. Balbi n’assigne pas à la compilation géographique un rang aussi modeste. Il a pour elle, comme science et comme art, les plus grandes prétentions, et quand il ne les affiche pas, il les sous-entend. S’il parle des veilles qu’elle entraîne, des connaissances qu’elle exige, c’est dans un style dithyrambique ; s’il énumère les facultés qu’elle suppose, la somme de ces facultés équivaut à un Leibnitz ou à un Newton. Rien n’est beau comme la géographie ; la géographie seule est aimable ; hors de la géographie point de salut. Dans un Avis de l’éditeur, que des analogies de style rattachent intimement à l’ouvrage, il est demandé au géographe digne de ce nom six qualités cardinales : une érudition immense, une lucidité mathématique, une exactitude irréprochable, l’horreur de toute phrase et de tout ornement, un esprit actif et des relations nombreuses. À ces vertus idéales on aurait pu joindre la portée scientifique et la valeur littéraire ; on avait ainsi le grand homme complet.

Avant de vérifier jusqu’à quel point M. Balbi est le héros de ce programme, il importe de signaler une ellipse, ou un oubli dans son énumération. Une des qualités fondamentales, selon nous, du géographe comme de tout écrivain qui s’adresse au public, c’est une grande retenue, une chaste réserve en parlant de soi. Un livre n’est pas un prospectus ; un enseignement n’est pas un rappel de titres. Et si l’on veut faire prendre cette pente à ce que l’on écrit, il faut au moins y apporter de la dignité et de la mesure. Qu’on se couronne de sa main, soit ; qu’on foule aux pieds ses devanciers et ses rivaux, soit encore ; mais que cette prétention, exorbitante au fond, s’abrite au moins sous des ménagemens de formes. Autrement le trait va contre son but et blesse celui qui le lance. L’auteur qui abuse de sa personnalité à chaque page, à chaque ligne, fatigue son lecteur, le révolte et l’indispose. C’est une mauvaise école que celle des airs suffisans et des fatuités transcendantes. L’épreuve en est faite : quand un écrivain s’évalue trop haut, le public ne couvre jamais l’enchère.