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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/174

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REVUE DES DEUX MONDES.

ville est un aussi grand homme que M. de Humboldt ; M. le docteur Constancio, un esprit aussi profond que M. Klaproth ; M. César Moreau vaut au moins un Cuvier, et M. Jarry de Mancy balance M. Arago. Tous les hommes qui ont apporté, ne fût-ce qu’une gerbe, qu’un épi à la moisson du géographe, sont égaux devant ses yeux ; l’obole du pauvre lui est aussi douce que le doublon du riche, et sa joie de recevoir est telle, qu’il ne regarde pas même à ce qu’on lui donne : il prend l’argent rogné, l’argent au plus bas titre, le billon et jusqu’à la fausse monnaie. Résolu à vaincre par le nombre, il accouple sans discernement, sans mesure, les noms les plus célèbres aux noms les plus obscurs, et exécute en leur honneur, à la porte de son livre, les mêmes fanfares préliminaires. Ainsi distribué, l’éloge dégénère en injure pour les uns, en ironie pour les autres, et on pourrait en conclure que le géographe, placé entre des documens d’origine et de valeur diverses, n’a eu ni assez d’intelligence pour les contrôler, ni assez de force pour les dominer.

En effet, en présence de ses collaborateurs, M. Balbi n’est plus l’homme qui criait tantôt à l’aide et demandait vengeance à l’opinion contre des spoliateurs acharnés. Ce qu’il a n’est point à lui : il le doit à ses amis ; il n’est pas une seule ligne de son ouvrage dont il ne faille leur rapporter l’honneur. Son édifice géographique a eu mille architectes, dont il n’est, lui, que l’humble manœuvre. Il ne parle plus, alors, ni de la gloire dont on veut le frustrer, ni du fruit de ses veilles qu’on prétend lui ravir ; il s’efface entièrement, il s’annule, il s’amoindrit, il disparaît. À le croire, chaque partie spéciale de son livre a un inspirateur spécial ; des autorités imposantes y ont mis la main ; les épreuves ont été revues, corrigées, annotées par les maîtres. Son archéologie appartient à nos meilleurs archéologues, son histoire naturelle à nos meilleurs naturalistes, son orographie à nos meilleurs orographes, son ethnographie à nos meilleurs ethnographes, son Afrique, son Asie, son Océanie, son Amérique, doivent être restituées aux savans qui ont quelque droit de les décrire ; et quant aux détails, M. Balbi, scrupuleux à l’excès, a confié, assure-t-il, ses places fortes à des militaires, ses académies à des académiciens, ses renseignemens religieux à des ecclésiastiques. Tout ceci est bien ; mais que va-t-il rester à l’auteur après cette abdication intégrale ? Aura-t-il encore le droit de lancer ses foudres contre la spoliation et de vouer ses plagiaires aux Euménides ? On lui emprunte ce qu’il a emprunté ; c’est la peine du talion, voilà tout.

Il est vrai que ces accès de modestie, imaginés, comme l’on dit,