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L’approbation expresse ou tacite que donnèrent à ces niaiseries emphatiques des hommes tels que MM. de Bréquigny, du Theil, Gaillard, Dacier, montre à quel point la véritable science était alors timide et indécise. Déjà bridée, pour ainsi dire, par la constitution despotique du gouvernement et par les habitudes d’esprit qui en résultaient, elle le fut dans un autre sens par l’entraînement universel vers les idées démocratiques. Le courant de l’opinion la dominait et la forçait, quoi qu’elle en eût, de souscrire aux raisonnemens a priori sur les questions fondamentales. La science, du reste, bornée de plus en plus à des recherches partielles, se montrait singulièrement peu inventive en conclusions de quelque généralité ; elle ne parlait guère pour son propre compte, et se mettait au service de ceux qui cherchaient après coup, dans les faits, la preuve de leurs idées. En un mot, il y avait une sorte de divorce entre le travail de collection des documens originaux et la faculté d’en comprendre et d’en exprimer le sens intime.

Par exemple, dans les grands recueils de monumens historiques, où l’éditeur, en présence des textes, aurait dû ressentir avec inspiration le besoin de prêter un sens à la suite chronologique des récits ou actes originaux qui se déroulaient sous sa plume, cet éditeur, quelque intelligent qu’il fût, s’abstenait presque de toute vue d’ensemble, de tout commentaire tant soit peu large, sur les mœurs, les institutions, la physionomie des époques importantes. Dom Bouquet et la plupart de ses successeurs dans le travail de la collection des historiens de la France et des Gaules, poussèrent jusqu’à l’excès cette réserve, ou pour mieux dire cette faiblesse. Leurs préfaces, du premier tome au dixième inclusivement, n’offrent que deux dissertations ex professo, l’une sur les mœurs des Gaulois, l’autre sur l’origine des Franks et quelques usages du gouvernement mérovingien, toutes les deux incomplètes et sans portée, soit dans la solution, soit dans la position des problèmes historiques. Ni la question de la conquête et de ses suites politiques, si vivement controversée alors, ni les lois des Franks et les autres documens législatifs de la première race, ni la révolution qui mit fin au règne de cette dynastie, ni la législation de Charlemagne qui donnait lieu à tant d’hypothèses et d’imaginations fantastiques, ni la dissolution de l’empire frank, ni les causes et le caractère du démembrement féodal, ne sont l’objet d’aucun examen, d’aucune explication, soit critique, soit dogmatique. Le tome XI, publié en 1767, présente des considérations, assez nombreuses il est vrai, mais partielles et détachées, sur la succession à la