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pagande a vu là, ou a feint d’y voir, le triomphe de ses opinions. Il y a huit ans que l’opposition de gauche accuse le gouvernement de juillet de trahir la France, en refusant de porter ses armées partout où un peuple s’insurge, en refusant de violer les traités, et de jeter son épée dans la balance ; et voilà que tout à coup elle s’aperçoit que le ministère du 22 février a tenu un jour son langage et a failli entrer, par un bond, dans son système. La reconnaissance de l’extrême gauche a été proportionnée à sa joie ; elle a éclaté sans réserve, et M. Thiers a dû être, en secret, bien embarrassé de ces témoignages d’estime ; car nous nous refusons à croire encore qu’il soit de ceux qu’il peignait si bien, et qui sont trop désespérés pour redouter de tels contrastes et ne pas en être honteux.

M. Thiers, dans la séance qui s’ouvre en ce moment, répondra sans doute, non pas au ministère, mais à l’extrême gauche, qui, lors de la lecture de sa dépêche, lui a donné, des mains de M. Mauguin et de M. Larabit, ces grands apôtres de la propagande, le baptême que M. Guizot recevait, deux jours avant, de M. Odilon Barrot. M. Thiers ne voudra pas sans doute qu’il soit dit qu’un ministre des affaires étrangères, qu’un homme qui a été quelque temps le chef de la diplomatie française, met en question l’exécution des traités. M. Thiers a trop savamment étudié l’histoire de Napoléon et les causes de la chute de sa merveilleuse puissance, pour ne pas savoir que le défaut de fidélité dans les engagemens a joué le plus grand rôle dans cette catastrophe. Quand se forma l’alliance européenne contre Napoléon, le conquérant était debout dans presque toute sa force ; il avait, dans la terreur de son nom, dans l’héroïsme de ses armées, dans l’inépuisable ardeur du pays qu’il gouvernait, mille chances de dominer encore la fortune. Il était, en un mot, le plus puissant monarque et le plus habile général de son temps, et plusieurs des puissances qui se liguèrent contre lui, se seraient contentées de l’humble situation que leur avait faite le sort des batailles. Pourquoi donc l’attaqua-t-on en 1812 ? Pourquoi refusa-t-on de traiter avec lui en 1815 ? C’est que les puissances avaient appris, à leurs dépens, qu’aux yeux du dominateur de l’Europe, les traités n’étaient, en quelque sorte, que des actes provisoires qu’il croyait pouvoir changer à son gré. Et encore, c’était dans un temps où la guerre et ses chances, si changeantes, semblaient autoriser ces modifications. L’absence de cette religion des traités précipita toutefois la chute de l’empire, qui commença de s’écrouler quand ses soldats occupaient encore toutes les places fortes de l’Europe, et qui tomba après avoir déjà poussé de profondes racines. Voyez maintenant quel spectacle contraire nous a donné la monarchie de juillet, et cette révolution douce et légale, qui naquit en 1830, pour nous servir d’une belle expression de M. Thiers. La France déclara d’abord, comme avait fait en 1790 l’assemblée constituante, qu’elle voulait la paix, et qu’elle ne ferait la guerre ni par esprit de conquête, ni par esprit de propagande. L’Europe ne s’inquiéta pas moins, car on se souvenait de la révolution, de l’empire, et surtout parce que le parti radical