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LA TERREUR EN BRETAGNE.

tout, tandis que Carrier fut un scélérat d’élite, qui résuma en lui tous les excès de l’époque.

Dussé-je vivre mille ans, je n’oublierai jamais mon arrivée à Nantes. C’était vers le soir ; je venais d’apercevoir la ville à demi noyée dans les brouillards de la Loire ; je pressais le pas de mon cheval, lorsqu’une fusillade vive et nourrie se fit entendre et fut suivie presque aussitôt des éclats sourds du canon. Je m’arrêtai étonné : il y eut une assez longue pause ; puis la fusillade retentit de nouveau, et le canon continua seul. Le bruit venait évidemment de la ville ; ce ne pouvait être qu’une attaque imprévue de Vendéens ou une insurrection ; je délibérais déjà sur ce que je devais faire, lorsqu’un volontaire passa.

— On se bat donc ? lui criai-je.

Il me regarda d’un air étonné.

— Pourquoi cela ?

— N’entendez-vous point la fusillade ? Il haussa les épaules en souriant :

— Ça, dit-il, ce sont les brigands à qui on récite les prières du soir…

— Mais le canon ?

— Ah !… c’est une idée du représentant pour aller plus vite.

— On en exécute donc beaucoup ?

— Tant qu’on peut. Tout ce qui se tue est bon à Carrier… Du reste, tu n’as qu’à continuer, tu pourras compter les charognes royalistes sur ton chemin !

À ces mots, le volontaire passa outre, et je repris ma route tout rêveur. Je trouvai les faubourgs tels qu’ils avaient été laissés par les Vendéens après le siége ; on eût dit que l’ennemi venait de se retirer. La plupart des maisons, sans portes et sans fenêtres, étaient sillonnées par les traces des boulets ou mouchetées d’éclats de balles et de mitraille. Quelques-unes, plus écartées du chemin, montraient de loin leurs toits à moitié consumés et leurs murs noircis ; d’autres ne présentaient plus qu’un amas de décombres sur lesquels les ronces avaient déjà poussé. On apercevait à peine de loin en loin, sur les seuils, quelques femmes portant dans leurs bras des nourrissons chétifs, et quelques hommes débraillés qui vous regardaient d’un œil hagard.

En arrivant près de l’Èdre, je rencontrai une troupe d’enfans chargés de vêtemens ensanglantés qu’ils se disputaient. La nuit était venue ; je voulus abréger en évitant les quais et en prenant par la place du Département. J’avais le cœur serré d’une indicible tristesse,