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SPIRIDION.

poser, et c’était là pourtant ce que j’eusse ambitionné par-dessus tout en musique. Quand je vis que je ne pouvais rendre ma pensée dans cette langue trop sublime sans doute pour mon organisation, je m’adonnai à la poésie, et je fis des vers. Cela ne me réussit pas beaucoup mieux ; mais j’avais un besoin de poésie qui cherchait une issue avant de songer à posséder un aliment, et ma poésie était faible, parce que la poésie veut être alimentée d’un sentiment profond dont je n’avais que le vague pressentiment.

Mécontent de mes vers, je fis de la prose à laquelle je tâchai de conserver une forme lyrique. Le seul sujet sur lequel je pusse m’exercer avec un peu de facilité, c’était ma tristesse et les maux que j’avais soufferts en cherchant la vérité. Je t’en réciterai un échantillon :

« Ô ma grandeur ! ô ma force ! vous avez passé comme une nuée d’orage, et vous êtes tombées sur la terre pour ravager comme la foudre. Vous avez frappé de mort et de stérilité tous les fruits et toutes les fleurs de mon champ. Vous en avez fait une arène désolée, et je me suis assis tout seul au milieu de mes ruines. Ô ma grandeur ! ô ma force ! étiez-vous de bons ou de mauvais anges ?

« Ô ma fierté ! ô ma science ! vous vous êtes levées comme les tourbillons brûlans que le simoun répand sur le désert. Comme le gravier, comme la poussière, vous avez enseveli les palmiers, vous avez troublé ou tari les fontaines. Et j’ai cherché l’onde où l’on se désaltère, et je ne l’ai plus trouvée, car l’insensé qui veut frayer sa route vers les cimes orgueilleuses de l’Horeb, oublie l’humble sentier qui mène à la source ombragée. Ô ma science ! ô ma fierté ! étiez-vous les envoyés du Seigneur, étiez-vous des esprits de ténèbres ?


« Ô ma vertu ! ô mon abstinence ! vous vous êtes dressées comme des tours, vous vous êtes étendues comme des remparts de marbre, comme des murailles d’airain. Vous m’avez abrité sous des voûtes glacées, vous m’avez enseveli dans des caves funèbres remplies d’angoisses et de terreur ; et j’ai dormi sur une couche dure et froide, où j’ai rêvé souvent qu’il y avait un ciel propice et des mondes féconds. Et quand j’ai cherché la lumière du soleil, je ne l’ai plus trouvée, car j’avais perdu la vue dans les ténèbres, et mes pieds débiles ne pouvaient plus me porter sur le bord de l’abîme. Ô ma vertu ! ô mon abstinence ! étiez-vous les suppôts de l’orgueil, ou les conseils de la sagesse ?

« Ô ma religion ! ô mon espérance ! vous m’avez porté comme une