Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/618

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
614
REVUE DES DEUX MONDES.

pendant les guerres de la Suède avec la Russie. Ces hommes sont actifs et industrieux. Ils se distinguent entre tous les habitans du Nord par leur assiduité au travail et leur vie économe. Ils sont tout à la fois pêcheurs, charpentiers, forgerons. Ils construisent eux-mêmes leur maison, leur bateau ; ils fabriquent leurs instrumens de pêche et d’agriculture, et le cordonnier de Bossekop dit qu’il n’a pas d’ouvrage, parce que les Quœner font des souliers pour tout le pays. Cette existence laborieuse leur donne généralement plus d’aisance qu’on n’en trouve dans la contrée. Ils gardent leurs couvertures de peaux de rennes et leurs meubles grossiers ; mais les hommes et les femmes portent d’excellens habits de laine, et il n’est pas rare de voir briller dans leurs armoires tout un service d’argenterie. Au mois de novembre, les Lapons des montagnes se rassemblent ici avec leurs pulke légers et leurs rennes. Ils apportent des quartiers de viande sèche, des fourrures, et en échange ils prennent de la farine, du tabac, de l’eau-de-vie. Toute la plaine est alors couverte de tentes et de chariots ; les rennes courent sur la colline, les Lapons chantent en buvant leur verre d’eau-de-vie. C’est une foire singulière que beaucoup de gens vont voir par curiosité.

Après avoir passé par tant de côtes arides et d’îles dépeuplées, nous éprouvâmes une joie naïve à contempler ce joli hameau, à franchir la haie des enclos, à nous arrêter tantôt pour chercher une fleur au milieu de l’herbe épaisse, tantôt pour cueillir un épi d’orge au bord du sentier. Tout cela était pour nous comme un souvenir des campagnes de France ; et lorsque, après avoir gravi le Sandfall, nous vîmes se dérouler, de chaque côté de nous, deux larges prairies, l’une couverte d’habitations, l’autre de bouleaux verts, toutes deux entourées de rocs élevés et de pics de neige, il nous semblait voir un des beaux paysages de la Suisse ou des Pyrénées.

Au-delà du fleuve d’Alten, la végétation diminue et s’étiole graduellement, à mesure qu’on gravit les montagnes. Mais alors on retrouve dans les entrailles de la terre d’autres productions plus abondantes et plus variées. C’est là que sont les mines de Raipass, avec leurs riches filons de cuivre, leurs aiguilles de cristal et leurs feuilles d’amiante. Elles furent découvertes comme celles de Kaafiord, au XVIIe siècle, creusées légèrement, puis abandonnées. En 1832, M. Crowe en commença l’exploitation, et maintenant il y emploie cent ouvriers. Le minerai qu’il en retire donne soixante et quatre-vingts pour cent. Il n’y en a pas de plus riches dans le Nord entier. Déjà un large chemin, exécuté à grands frais, va de Bossekop à Raipass. Les ouvriers ont construit leur habitation entre les maigres pins qui parsèment le flanc de la montagne. Une boutique leur est ouverte ; un caissier vient les payer à jour fixe. Leur nombre s’accroît à mesure que la mine s’élargit. Quelque jour, peut-être, Raipass aura, comme Kaafiord, son église, son école et son médecin.

Mais l’industrie, qui fait ces miracles, a aussi ses tristesses. De retour dans la vallée, nous entrâmes dans une cabane de paysan pour boire du