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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/629

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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

taine de magasins en bois, posées sur des piliers qui de loin ressemblent à autant de maisons. Ces magasins ou stabur appartiennent les uns aux habitans du pays, d’autres aux Lapons nomades qui y déposent leurs vêtemens, leurs provisions, et viennent de temps à autre les reprendre pendant l’hiver. De l’autre côté du fleuve est l’église, bâtie sur un point élevé comme pour attirer les regards du voyageur et lui dire : Ici est un lieu de repos. Le prêtre qui la dessert a trois autres paroisses dans le nord. L’une de ces paroisses, Kielvig, est située auprès du Cap-Nord. Il a plus de cent lieues à faire pour venir de là à Kautokeino. Il entreprend ce voyage chaque année au mois de novembre et reste ici tout l’hiver. Les Lapons qui conduisent leurs rennes à sept ou huit milles de distance (vingt-une ou vingt-quatre lieues) viennent une ou deux fois par mois à l’église. Si loin qu’ils soient pendant l’été, ceux qui sont immatriculés dans la paroisse de Kautokeino lui appartiennent toujours. C’est là qu’ils doivent se marier, baptiser leurs enfans, enterrer leurs morts. Il y a aussi dans ce village une école où les jeunes Lapons doivent venir prendre des leçons jusqu’à ce qu’ils soient confirmés. On y compte ordinairement une trentaine d’élèves qui apprennent à parler et à lire le norvégien. L’enseignement religieux est un des élémens fondamentaux de leur éducation. Le maître d’école, qui est en même temps sacristain, reçoit environ 200 francs de traitement. Le prêtre dirige cette institution, préside aux examens, et donne l’exequatur à ceux qui ont atteint un degré suffisant d’instruction.

Une fois ce devoir de pasteur et de chef d’institution rempli, les cinq mois qu’il doit passer dans cette sombre contrée sont bien longs et bien tristes. Il est là seul, livré à lui-même, entouré pendant plusieurs semaines d’une nuit perpétuelle. Un jour, je rencontrai à Hammerfest cet apôtre de l’Évangile, et je lui demandai comment il employait son hiver. « Je n’ai pas d’autre moyen de distraction, me dit-il, que la lecture et l’étude ; mais je ne peux lire tout le jour à la lumière, mes yeux se fatiguent, et c’est là ce qui m’afflige. Je quitte ma femme et mes enfans pour venir ici. Je passe des semaines, des mois dans le silence de la solitude. Aucun être n’encourage mes efforts ; aucun être ne s’associe à ma pensée. Je suis seul dans mes heures de mélancolie, seul dans mes heures d’espoir. C’est une époque d’exil que je traverse en relisant les psaumes. Le monde entier est loin de moi. Mais la main de Dieu me soutient, et le sentiment du devoir me console. » Et quand je l’entendais parler ainsi, je me disais : Heureux ceux qui emportent dans la solitude un sentiment de foi ! Heureux ceux à qui l’Évangile a ouvert un monde de douces pensées, où ils se réfugient, avec un front serein et un cœur calme, quand le monde réel les abandonne.

Nous couchâmes dans la maison de ce vertueux prêtre, ouverte comme un caravansérail aux pèlerins de la Laponie ; et, quoique nous n’eussions pour lit qu’un peu de foin, nous éprouvions cependant une grande joie, celle de nous sentir à l’abri du vent et de la pluie. C’est cette maison qui avait