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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

rieure. Le désir de tout savoir sur les hommes célèbres encourage la fabrication d’œuvres sans valeur pour la philosophie, qui offriront plus tard des ressources et des élémens de travail. L’esprit d’exactitude commerciale, complètement opposé au génie, engage les compilateurs à ne rien éliminer ; d’insignifians souvenirs inondent des rames de papier blanc, sans aucun profit pour l’histoire. Le même défaut qui se fait bien plus vivement sentir dans les ouvrages américains, et que la diffusion des écrivains médiocres aggrave encore, entache la plupart des ouvrages historiques récemment publiés. Depuis les travaux de Hallam, de Mackintosh, de Lingard et de Southey, un seul écrivain, dont la singularité affecte une phraséologie à peine intelligible, Carlyle, a fait preuve d’une haute intelligence historique. Élève de Schiller, dont il a écrit la vie avec talent, il se classe parmi les penseurs et même parmi les mystiques, dont l’œil ne voit dans les annales humaines qu’une série de problèmes métaphysiques. On le laisse planer dans cette région où les mortels ne le suivent pas, et mille autres s’enchaînent à la terre, recueillant les grains de sable, entassant la poussière, et faisant preuve d’une patience qui émerveille.

Comment ne pas reconnaître que l’abaissement simultané de la poésie, du drame et de l’histoire tient à des causes parallèles ou plutôt jumelles ? On s’est accoutumé à préférer le détail à l’ensemble, et l’analyse curieuse d’un fragment à la synthèse féconde ; habitude et tendance qui datent de Locke et coïncident avec la marche de la civilisation moderne. Dans le roman, elle a fait naître plusieurs monographies dont la lecture plaît et dont la minutie est instructive : les Ayrshire Legatees (héritiers du comté d’Ayr) ; le Subaltern (le sous-officier), Pickwick, le Livre de Loch, dont nous avons parlé. Mais dans l’histoire, l’imagination cessant de colorer et d’ennoblir cet esprit de détail et cette interminable recherche, on obtient des résultats d’une pauvreté et d’une aridité excessives. Que l’amour-propre et la prétention viennent s’y mêler, les autobiographies abondent, publiées par des héritiers avides ou par des spéculateurs ardens à exploiter la curiosité : les Fragmens tirés des papiers de Coleridge, la Vie de Walter Scott, par Lockhart, celle de Crabbe par son fils, et celle de Cowper par Southey, méritent une exception particulière.

Coleridge, qu’on ne doit pas confondre avec Hartley, a exercé sur l’ère précédente une influence très curieuse. C’était un philosophe doué de sagacité et d’élévation, qui rendait ses oracles comme la