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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/735

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ÉCONOMIE POLITIQUE.

Ce qui est beaucoup plus difficile que de multiplier les capitaux, c’est de leur faire prendre une direction utile aux intérêts communs. La frénétique envie de brusquer la fortune, afin de se reposer au plus tôt dans la jouissance, précipite toutes les ressources du pays dans les spéculations industrielles. Le travail agricole, dont la récompense est certaine, mais modeste et chèrement achetée, ne sait pas parler la langue séduisante de l’agiotage. C’est un fait tristement avéré : l’agriculture, qui devrait être pour la France ce qu’est pour l’Angleterre le roulement de ses métiers, ne peut pas obtenir chez nous les moyens de développer les richesses du sol ; et quoique favorisée par toutes les conditions physiques, elle ne peut combattre la concurrence étrangère qu’en sollicitant des prohibitions, au détriment des consommateurs. Après avoir entrevu cette tendance de l’activité française, on interroge avec anxiété l’histoire des peuples qui ont développé leur puissance par la fabrication manuelle et les entreprises commerciales. C’est le sentiment que nous avons éprouvé en ouvrant un livre imprimé à Bruxelles et répandu en France : De l’industrie en Belgique, causes de décadence et de prospérité, par M. Briavoine[1]. L’aptitude des Belges pour les arts utiles est, en quelque sorte, instinctive. L’usage de la monnaie, antérieur à l’invasion romaine, prouve que les objets fabriqués dans le pays, comme les armes de luxe et les étoffes, donnaient lieu déjà à des transactions commerciales. Domptés par César, les Belges s’approprient, avec une dextérité qui frappe le conquérant lui-même, les procédés romains. Bientôt ils ont fait de leurs vainqueurs des tributaires. Sous les empereurs, les grandes villes de la Gaule-Belgique, Tongres, Maëstricht, Bavai, Tournay, Cambrai, exportent pour l’Italie des draps, des toiles de lin pour l’habillement et pour la marine, des fers travaillés, des chairs salées et fumées. Ces villes, plusieurs fois saccagées pendant le déchirement de l’empire romain, se relèvent toujours de leurs ruines sous les premiers chefs de race franque, Tournay devient résidence royale. Le successeur de Charlemagne entre en comptes avec une compagnie de négocians brabançons, et lui fournit des vaisseaux pour un commerce d’échanges avec l’Angleterre, l’Espagne, l’Égypte et tout l’Orient. Les institutions du comte Baudouin III, qui régna sur les Flandres de 958 à 965, ont posé les fondemens d’une politique que ses successeurs ont constamment agrandie, et qui explique la prospérité croissante du pays. M. Briavoine attribue encore à ses compatriotes les résultats économiques des croisades. « Aux Belges, dit-il, mais sans appuyer ce qu’il avance, l’honneur d’avoir dérobé aux Orientaux leurs secrets chimiques ou mécaniques, l’art de filer et de tisser le coton, de construire les moulins à vent, de fabriquer des tapis. » En 1164, l’association de Bruges et d’Anvers à la ligue anséatique fait de ces deux villes les entrepôts de tous les échanges entre le nord et le midi de l’Europe. Au commencement du XIIIe siècle, le comte Baudouin IX, élu par les croisés empereur de Constantinople, profite d’un instant de règne pour assurer à ses

  1. Dépôt à Paris, chez Ch. Gosselin, rue Saint-Germain-des-Prés, 9.