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autre cause n’a triomphé ; aussi nous avons vu, depuis quelques jours, à quels tiraillemens ont été livrées les différentes nuances de la coalition qu’on voulait faire entrer dans une combinaison ministérielle. Le parti doctrinaire réclamait-il sa part de pouvoir et d’influence, le centre gauche le repoussait en lui montrant le peu de voix dont il dispose ; le centre gauche, de son côté, se voyait forcé d’obéir aux injonctions de l’extrême gauche, et celle-ci se voyait contrainte de se tenir loin de toute combinaison. Ce n’est donc pas le parti doctrinaire qui a triomphé dans les élections, puisqu’on s’est cru assez fort pour l’exclure des postes importans, et qu’on ne veut admettre M. Guizot qu’en repoussant sa politique ? Ce n’est pas non plus le centre gauche, puisque M. Odilon Barrot lui a dicté ses conditions. C’est encore moins la gauche proprement dite, puisque M. Odilon Barrot, qui met des obstacles à l’entrée des doctrinaires, ne peut devenir ministre lui-même, et qu’il est douteux qu’il obtienne assez de voix pour la présidence de la chambre ? Sont-ce là les préludes d’un ministère appuyé sur une imposante majorité ? et le cabinet futur n’a-t-il pas raison de désirer que l’affaire belge soit terminée avant sa formation ?

Nous avions prévu, comme tout le monde, les difficultés que la coalition trouverait à former un ministère, mais nous sommes loin de nous en réjouir. Pour quiconque a réfléchi quelques momens sur les affaires, il est facile de s’expliquer la nature de ces embarras et d’en tirer des indices pour l’avenir. Les partis politiques ont été dénaturés depuis un an. Dans le désir immodéré qu’ils éprouvaient de s’emparer du pouvoir, les partis dont nous parlons ont fait des sacrifices inouis, sacrifices d’amour-propre, d’intérêt, d’opinions ; et maintenant que le champ est ouvert aux ambitions par la retraite du ministère, chacun tend à reprendre sa position naturelle et revient à ses penchans. Le centre droit, qui avait pris le langage de la gauche, sans toutefois se convertir à elle, reprend son attitude, se propose à la couronne, et demande le pouvoir au nom de ses idées de conservation. Le centre gauche, qui repoussait le ministère du 15 avril en l’accusant de manquer de nationalité, voit déjà les affaires avec les yeux du 11 octobre ; et l’extrême gauche, voyant tous ces retours subits, demande des garanties et des otages. Tout le monde, en un mot, a voulu se rendre populaire pour mieux combattre une administration qui a eu le courage d’être loyale, juste et fidèle aux traités, sans se demander ce qu’en diraient les partis. Les meilleurs esprits, des hommes politiques prudens et consommés, ont combattu l’évacuation d’Ancône, comme si nous devions tenir éternellement garnison en Italie ; ils ont blâmé l’exécution de notre garantie donnée au traité des 24 articles : M. Thiers, M. Guizot, M. de Broglie, ont parlé le même langage ; mais la popularité est un gouffre qui s’ouvre chaque jour pour demander un nouveau sacrifice, et les hommes d’état qui sont à la veille d’entrer au pouvoir voient qu’il est temps de s’arrêter. Le pourront-ils, entraînés comme ils sont par ceux qui les poussent, et qui n’ont encore rien à risquer, car leurs opinions les éloigneront long-temps, nous l’espérons, de la direction des affaires ? C’est ce que nous ne tarderons pas à savoir. En attendant, nous voyons déjà qu’ils