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condamnée au célibat, à moins qu’elle ne passe la frontière pour choisir un mari dans une famille d’émigrés ; et, comme une pareille tentative aurait pour conséquence la confiscation des biens de son père, elle se contente d’humilier par ses refus tous les hommes qui essaient de la fléchir sans tenir compte du sort des candidats qui se sont déjà mis sur les rangs. S’il y a entre ce personnage et Marie de Neubourg la moindre analogie, nous avouons sincèrement qu’elle échappe à notre pénétration.

Beauséant, dans lequel on a voulu retrouver don Salluste, se sert, il est vrai, de Claude Melnotte pour humilier Pauline Deschapelles ; comme le chef des alcades de cour se sert de Ruy Blas pour humilier la reine d’Espagne. Mais il procède à sa vengeance bien plus simplement que l’homme d’état disgracié. Il sait qu’un jeune paysan est amoureux de Pauline, et il lui propose d’épouser celle qu’il aime. Il conclut avec lui un marché en bonne forme et s’engage à lui fournir tout l’argent nécessaire pour mener un train de prince. Il ne perd pas son temps, comme don Salluste, à dicter deux billets dont l’un est une énigme et l’autre une injure pour son secrétaire. Il dit à Claude Melnotte : Vous aimez Pauline, vous êtes pauvre et roturier ; elle est riche et ne veut donner sa main qu’à un homme titré. Je vous offre le moyen de l’épouser. Elle ne vous connaît pas, soyez prince, et sa main est à vous. Jurez de vous prêter à ma vengeance et de mentir jusqu’à la conclusion du mariage. Voici de l’or, et mettons-nous à l’œuvre. Certes, un pareil langage ne ressemble en rien aux paroles adressées par don Salluste à Ruy Blas.

Quant à Claude Melnotte, principal personnage de la pièce, il est, je l’avoue, dessiné d’une façon très vulgaire ; mais il est à peu près impossible qu’un tel personnage ne réussisse pas au théâtre ; car il résume tous les sentimens avec lesquels la foule est familiarisée depuis long-temps. Il aime ardemment Pauline Deschapelles ; et pour lui plaire, pour l’attendrir, il se voue à l’étude, il se transforme. Fils du jardinier de M. Deschapelles, resté seul avec sa mère, il se livre à tous les exercices de corps et d’esprit qui doivent faire de lui un homme accompli. Depuis l’escrime et la danse jusqu’à la musique, jusqu’à la peinture ; depuis l’histoire jusqu’aux mathématiques, jusqu’aux sciences naturelles, il veut tout connaître, afin de devenir digne de l’amour et de la main de Pauline. Grace à la volonté ferme qui le soutient, grace à l’espérance qu’il a conçue, il devient en peu d’années capable de remplir les fonctions les plus élevées et les plus diverses. Je me défie généralement des hommes doués d’une apti-