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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

la foi catholique. Le pape condamna les examinateurs. En vain saint Louis exhortait Innocent IV à la douceur ; ce prêtre fougueux ne voulait rien entendre ; à la même époque, il jetait un interdit sur le Portugal et irritait les Anglais. Frédéric était au moment de se rendre à Lyon pour plaider lui-même sa cause devant le concile, quand il apprit la révolte de la ville de Parme, excitée par les partisans du pape. Il voulut la réprimer à tout prix, il fit venir un corps de Sarrasins, il reçut des secours d’Eccelino ; mais son camp fut surpris, et il fut obligé de lever le siége et de retourner dans la Pouille. Vers le même temps, saint Louis partait pour la Terre-Sainte. Innocent IV, dont la haine ne pouvait se satisfaire, fulmina une nouvelle excommunication, et prêcha une croisade contre Frédéric. L’empereur tomba malade. On l’avertit d’un complot formé par son médecin et par son chancelier, Pierre des Vignes, pour l’empoisonner. Le docteur fut pendu ; Pierre des Vignes aveuglé et livré aux Pisans, qui le détestaient ; mais il prévint son supplice en se brisant le front contre une colonne. Abreuvé d’amertume, trahi par des amis qu’il avait cru fidèles, affaibli par la maladie, Frédéric dicta son testament ; quelques jours après, il mourut entre les bras de son fils Manfred, et l’on grava sur sa tombe cette épitaphe : « Si un sublime courage, si la réunion de tous les biens et de toutes les vertus, si l’éclat et la gloire de la race pouvaient triompher de la puissance de la mort, Frédéric ne reposerait pas ici dans ce tombeau qui l’enferme[1]. » Voilà peut-être l’homme le plus extraordinaire du moyen-âge : empereur d’Allemagne, n’ayant rien d’allemand ; Italien, car il était né dans la marche d’Ancône, à Jesi, nourrissant un penchant qu’il ne pouvait maîtriser pour l’islamisme[2], se plaçant par la liberté de son esprit entre le Coran et l’Évangile, jugeant les religions dans un siècle de foi, mêlant l’enthousiasme à l’ironie ; poète, mais savant ; comprenant le grec, le latin, l’italien, le français, l’allemand et l’arabe[3] ; ayant étudié la nature, passionné pour toutes les connaissances, il fonda l’université de Naples et protégea celle de Salerne ; il ordonna de traduire Aristote ; il fut pour la Sicile un législateur prudent et avisé. Il eut des passions vives, mais une raison capable de leur servir de contrepoids et de règle ; une grande ame et un génie dont l’originalité peut accepter sans crainte toutes les comparaisons. Avec lui descendirent dans la tombe la grandeur des Hohenstaufen et tout le poétique hé-

  1. Geschichte der Hohenstaufen, von Raumer, IV Band, S. 261-265.
  2. Voyez Bibliographie des Croisades, par Michaud, tom. II, pag. 350.
  3. Geschichte der Hohenstaufen, III Band, S. 567-578.