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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

Constantinople, et ils aident Paléologue à chasser les Vénitiens. La ville de saint Marc, qui prendra sa revanche contre Gênes à la fin du XIVe siècle, fortifie son institution aristocratique, et multiplie ses possessions maritimes. Les papes, dans la dernière moitié du XIIIe siècle, n’eurent d’abord qu’une pensée, l’extinction complète de la maison de Souabe. Urbain IV, Clément IV, Grégoire X, appelèrent dans ce dessein Charles d’Anjou au trône de Naples ; mais Nicolas III s’aperçut enfin que le prince français n’était pas moins contraire à la liberté de Rome et de l’Italie que la race des Hohenstaufen. Après Martin IV, créature et instrument de Charles d’Anjou, trois pontifes d’une affligeante médiocrité passèrent rapidement sur le trône papal jusqu’à ce qu’en 1298 vint s’y asseoir Boniface VIII, destiné à révéler par ses malheurs tout le changement qui s’était accompli dans les croyances de l’Europe.

Il y avait nécessairement pour les sociétés modernes un double travail qu’elles devaient accomplir ; elles devaient tirer d’elles-mêmes tout ce qui constituait leur propre fonds, et former leur caractère individuel ; elles devaient aussi retrouver la mémoire et la connaissance des temps et des peuples qui les avaient précédées. Au XIIIe siècle, ce double travail commençait pendant que l’unité catholique jetait sa plus vive et dernière splendeur. La science parvenait à une véritable puissance. De grands docteurs à chacun desquels l’admiration contemporaine avait décerné un surnom, associaient dans leur enseignement Aristote et saint Augustin, la pensée païenne et la croyance évangélique. Le mysticisme recevait aussi des formes didactiques et enseignait à l’homme comment Dieu lui avait accordé quatre modes d’illumination, quatre degrés pour monter jusqu’à lui. La nature commençait elle-même à être interrogée ; la poésie allait éclater, car vers 1298 furent jetés les premiers traits de la Divine Comédie ; la réalité tout entière tressaillait sous l’active liberté du génie humain ; la vie moderne s’épanouissait, grace à la transfusion de la pensée antique : fait nécessaire dont la fiction qui nous montre Virgile conduisant Dante est la poétique image.

C’est ainsi que sous la surface des institutions et des croyances qui, pendant trois siècles, avaient fait la force et la foi de l’Europe, s’agitait un esprit nouveau qui, dans son ignorance de lui-même, devait s’échapper par d’étranges violences et causer de douloureuses surprises. Certes, quand sur tous les points de la chrétienté on demanda leur épée aux chevaliers du Temple, ils crurent rêver, parce qu’ils ne s’étaient pas aperçus que tout avait changé autour d’eux.