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d’une exagération de muscles bizarres, d’oppositions heurtées d’ombre et de lumière, on distingue avec plaisir des nus bien étudiés et des chairs fermes et vivantes. — Je sais que dans une allégorie on n’a guère le droit de critiquer le costume ; mais ce rideau de damas à fleurs, qui semble acheté à la friperie, a une réalité trop moderne, qui me fait voir, au lieu d’un être idéal, un modèle posant dans un atelier. — L’expression est contestable. M. Brune a plutôt rendu l’abattement de la bassesse que la rage de l’envie.

J’ai reproché à plusieurs artistes d’avoir placé dans un cadre trop étroit des scènes qui exigeaient de l’espace. Le reproche contraire s’adresse à M. Jouy, auteur de l’Amende honorable d’Urbain Grandier, no 1116. À mon avis, ce sujet ne devait pas être traité sur cette toile immense ; il aurait gagné, je crois, à se resserrer dans les dimensions ordinaires d’un tableau de genre. Il y a d’ailleurs du talent dans cette composition. Bien que reléguée au second plan, la figure d’Urbain Grandier est habilement disposée pour fixer d’abord les regards du spectateur, et l’expression de ses yeux hagards et démesurément ouverts, est de celles qui ne s’oublient pas. La foule qui se presse aux abords de l’église est confuse, et la perspective aérienne y est mal observée. C’est le premier ouvrage que je vois de M. Jouy, et il me paraît annoncer d’heureuses dispositions.

On trouve au Musée un nombre prodigieux de batailles, d’entrées triomphales, de traits d’héroïsme, etc., destinés à augmenter l’immense collection de Versailles. On ne voit que feu et fumée, ou bien que lances et armures de fer, suivant que le combat est antérieur ou postérieur à l’invention de la poudre. C’est le désespoir de la peinture que ces sujets-là. M. H. Vernet surmonte les difficultés des batailles modernes ; après lui, je ne vois que des imitateurs qui le suivent de loin. Quant aux batailles anciennes, je ne sache personne qui s’en soit bien tiré. Nos guerriers d’aujourd’hui, qu’on les habille de bleu ou de rouge, qu’on leur donne même des bonnets à poils ou des chapeaux à trois cornes, ce sont encore des hommes ; mais ces armures bizarres, ces casques à visières, comment deviner là-dessous des êtres humains ? C’est à peine si l’on a la ressource de la couleur, car, éclairées par le ciel, les cuirasses prennent une teinte grise uniforme, qui fait ressembler de loin une armée en bataille à la boutique d’un potier d’étain. On n’a donc que le poil des chevaux dont la teinte ne soit pas commandée ; encore bien souvent les antiquaires exigent qu’ils soient bardés de fer. « Au diable ces homards ! » disait le brave lord Uxbridge, désespérant d’enfoncer les cuirassiers