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LES CÉSARS.

afin d’expliquer Philon, génie curieux de ce siècle, intelligence chamarrée de cabale et de platonisme, comme aussi de pieuse orthodoxie mosaïque, mêlant à cela les nombres de Pythagore et des idées pleines de lumières, qui, sorties des anciens livres de Salomon, développées par les Juifs d’Alexandrie, restaient comme en dépôt dans ce coin du monde, dans cette colonie gréco-hébraïque, jusqu’à ce que le christianisme, venu d’ailleurs, les créât de son côté et leur donnât sa vie. Il faudrait apprécier à leur vraie valeur et à leur juste caractère ces mouvemens divers de l’orientalisme, de l’hellénisme, du judaïsme hellénisé d’Alexandrie, du judaïsme pharisaïque de Jérusalem ; mouvemens indépendans, isolés, et qui, les uns motivés par le christianisme, les autres expliqués par lui, n’ont d’unité qu’en lui, parce que le christianisme est l’unité de ce siècle comme de tous les siècles désormais.

Mais cette tâche est immense, et j’ai hâte, après l’avoir montrée un instant, de rentrer dans mon humble sphère. Je reviens à Rome d’où je suis parti, et c’est à Rome que je veux voir de plus près la pensée humaine. Je trouve là deux hommes qui me semblent parfaitement placés face à face l’un de l’autre, pour représenter l’hellénisme (j’entends par ce mot la philosophie grecque et romaine) et la religion chrétienne ; je veux dire Sénèque et saint Paul. Il y a pourtant cette différence, que l’un a fait sa doctrine, tandis que l’autre, si je puis ainsi dire, a été fait par la sienne. Sénèque est tout maître et n’est guère disciple, Paul est disciple bien plus que maître ; l’un père de sa philosophie, l’autre fils de sa croyance et bien moindre qu’elle.

ii.LA PHILOSOPHIE. — SÉNÈQUE.

J’hésite en parlant de Sénèque. Je vous ai trahi l’autre jour quelques faiblesses de ce philosophe ; et, sans doute, ce fils d’un rhéteur espagnol, élevé au milieu de l’emphase paternelle et de la corruption de Rome sous Tibère ; ce parleur à la mode, qui essaie de tout, plaidoyers, poèmes, dialogues ; ce confident d’Agrippine, panégyriste officiel de Claude, précepteur et faiseur de discours de Néron, enrichi par son terrible élève, ne se présente pas dans l’histoire avec l’aspect presque mythologique d’un Pythagore, ni même (quoique Platon n’ait pas été sans faiblesses) avec l’aspect grave et antique d’un Platon. Ce n’est pas une vertu dégagée de toute concession aux petitesses humaines. Il faut songer en quel monde il vécut et quelle place il tint en ce monde.