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feudataires d’Asie, il les déposséda peu à peu de leurs gouvernemens et leur enleva ainsi toute influence politique.

En 1821, Mahmoud avait accompli une partie de sa tâche. Partout, dans ses provinces d’Europe comme d’Asie, il avait châtié la plupart des rébellions, et rétabli son autorité où elle était méconnue. En Égypte cependant Méhémet-Ali, en Albanie Ali-Pacha conservaient, sous des formes plus ou moins respectueuses, une véritable indépendance de fait. Mais tandis que le premier assemblait et mettait en œuvre les élémens de sa grandeur future, il s’étudiait à ne fournir à son souverain aucun motif de mécontentement ; il désarmait ses soupçons à force de respects ; jamais le paiement de son tribut n’éprouvait le moindre retard ; jamais il ne manquait d’envoyer chaque année, au grand-seigneur et à ses visirs, les présens accoutumés. Aussi donnait-il des inquiétudes à la Porte, non par l’usage qu’il faisait actuellement de sa puissance, mais par l’abus qu’il pouvait en faire un jour. Prudent, soumis et fort tout ensemble, il enleva à Mahmoud le prétexte et le pouvoir de le détruire. Il n’en fut point ainsi d’Ali, pacha de Janina. L’Épire, l’Albanie, la Livadie, une partie de la Thessalie et de la Morée, gémissaient sous sa tyrannie et celle de ses enfans. Sa puissance était redoutée même de la Porte. Dix mille Albanais composaient sa garde personnelle ; il pouvait armer, en cas de guerre, vingt-cinq mille hommes ; il avait une marine disciplinée et un revenu net de dix millions de francs. Ce vieillard cruel et violent n’apportait, dans ses rapports avec son souverain, aucun des égards et des ménagemens qu’y mettait l’habile pacha d’Égypte. Arrogant, présomptueux, toujours prêt à la rébellion, il s’était attiré la haine du sultan et celle des membres du divan qu’il n’avait point achetés. Depuis long-temps, Mahmoud méditait sa ruine ; mais la guerre avec la Russie et ses efforts pour raffermir son autorité en Asie l’avaient forcé à ajourner ses vengeances. Le moment vint enfin où il rassembla toutes ses forces pour écraser cet odieux vassal ; il lui fit, en 1821, une guerre acharnée. Parvenu à l’âge de soixante-dix-huit ans, le terrible Ali avait conservé l’énergie et l’opiniâtreté de sa jeunesse, et il fallut deux années d’efforts et de nombreuses armées pour l’abattre. Il succomba enfin ; mais, en tombant, il fit à l’empire une plaie bien profonde : il lui légua la révolution grecque.

Plusieurs causes, sans doute, ont concouru à ce grand soulèvement. Les intrigues ourdies par la Russie depuis le règne de Catherine II l’avaient préparé. Le libéralisme de l’Occident et la société de l’Hétairie, dont le principe et le but étaient l’affranchissement de