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sympathies secrètes ? Était-elle, en un mot, pour le Nord ou pour l’Occident ? Toutes ces questions étaient fort graves ; le bon sens le plus vulgaire conseillait à M. Canning de les éclaircir avant d’intervenir en Grèce. Se précipiter dans les éventualités d’une pareille médiation, sans avoir le dernier mot de la France, c’était commettre un acte d’insigne légèreté.

M. de Villèle était alors à la tête des affaires en France ; personnellement, il préférait l’alliance anglaise à celle de la Russie, dans une crise du Levant. Si la première ouvrait au pays peu de chances de grandeur et de gloire, elle était du moins une garantie de paix générale, et un frein salutaire à l’ambition de la Russie. Mais ce système, indépendant d’ailleurs de la politique suivie au dedans, ne dominait pas exclusivement le cabinet français. Parmi les hommes dévoués à la restauration, il en était qui voulaient avec la même passion le développement de nos libertés et celui de notre grandeur au dehors, qui gémissaient avec la nation de l’état d’abaissement où nous avaient précipités les traités de 1815. Entre tous ces hommes d’élite, qui eussent sauvé la branche aînée, si elle avait voulu être sauvée, se distinguait le comte de La Ferronnays, notre ambassadeur à la cour de Saint-Pétersbourg, Il pensait que la restauration ne parviendrait à se nationaliser, ne vivrait forte et puissante que lorsqu’elle se serait retrempée dans la gloire. Il croyait aussi que la France ne remonterait à son rang, ne ressaisirait, avec sa prééminence dans l’Occident, ses limites naturelles qu’en s’appuyant sur une alliance du Nord, et cette alliance ne lui semblait nullement incompatible avec les formes de notre gouvernement. Continuateur en quelque sorte, dans une situation bien différente, des traditions de Tilsitt et de la mission du duc de Vicence, il avait voué toutes ses sympathies à l’alliance de la Russie. Il est impossible de méconnaître les traces de cette influence dans les tendances de Charles X vers les cours du Nord. Mais ce prince, au lieu de voir dans une alliance russe un moyen de grandeur pour la France, n’y cherchait qu’un point d’appui pour ses intérêts dynastiques. Ce n’étaient point des sympathies nationales, mais des sympathies de monarque absolu, qui l’entraînaient vers le czar. Deux systèmes étaient donc en présence dans le cabinet français et s’en disputaient la direction au moment où se conclut le traité du 6 juillet : le système anglais, représenté par M. de Villèle ; le système russe, qui n’avait point de représentans officiels, mais seulement d’éloquens interprètes, comme M. de La Ferronnays, et un appui secret, le roi.