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SIDOINE APOLLINAIRE.

sous ce rapport que la littérature est surtout curieuse à étudier, car elle nous dit ce que l’histoire ne nous dirait point. La littérature n’est pas seulement un héraut proclamant le triomphe des idées et des sentimens qui règnent, elle est une confidente qui nous révèle ce qu’on a pensé, ce qu’on a senti en secret, ce qui a été latent, comprimé ; elle est comme ces échos qui répètent au loin des mots prononcés tout bas. Elle manifeste parfois non la domination d’un fait, mais une réaction contre ce fait. Elle exprime des désirs, des vœux, un certain idéal qui est au fond des âmes. De plus, elle n’est pas toujours la voix du moment même où elle se produit ; elle est parfois le retentissement de ce qui a été, le dernier soupir de ce qui meurt, le premier cri de ce qui vivra. C’est dans les temps les plus agités, par exemple au Ve siècle et au VIe qu’on a le plus besoin de se réfugier dans une littérature tout-à-fait idéale. Sidoine et ses amis se plaisaient à vivre, et avaient besoin, plus que personne, de vivre dans un monde entièrement différent de ce monde réel, beaucoup trop réel, qui les entourait et qui les écrasait. Mais on n’échappe jamais complètement à l’influence du temps où l’on naît, et la réalité se fait jour dans la poésie la plus artificielle. Aussi les œuvres de Sidoine Apollinaire portent l’empreinte directe de la société gallo-romaine du Ve siècle, et nous initient à la vie intellectuelle, morale, littéraire et politique de cette époque.


J.-J. Ampère.