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REVUE DES DEUX MONDES.

Le silence paisible, et l’horreur solitaire
Contraignoient doucement les hommes à se taire :
Taisons-nous donc, ô muse, et jurons en ce lieu
De ne parler jamais qu’à la gloire de Dieu.

Peut-on imaginer un sujet plus simple, écrasé sous des colifichets plus misérables ; une dépense de talent plus extravagante, plus étrange, plus déplacée ; un luxe de jolis vers sur tous les sujets, plus mal amenés et bariolés de traits plus faux ? Il est évident que chaque nouvel épisode est un clou placé par l’artiste pour suspendre une description nouvelle. Défaut d’ensemble, de majesté, de dignité, de convenance, nulle compréhension de la Bible ; une frivolité perpétuelle et un incontestable talent. Nous n’avons pas épuisé, dans les citations précédentes, toutes les beautés réelles de ce poème absurde, et qui pis est, ennuyeux :

Mille femmes en rond, pressant l’herbe fleurie,
Accordent saintement leurs gestes et leurs vois
Aux doux sons des tambours soutenus des haubois ;
Les vierges vont après, les enfans les secondent,
Leurs fertiles brebis en beslant leur respondent ;
Et les puissans taureaux, dans le ravissement,
Leur répartent aussi d’un gay mugissement.

Nous avons beaucoup cité. C’était le seul moyen de faire comprendre l’importance réelle de cet écrivain. Saint-Amant n’a que des traits, et n’a jamais d’ensemble. Sa première manière, celle du goinfre en belle humeur, lui fournit des pièces burlesques jusqu’à l’indécence. Sa seconde manière, celle de l’homme de cour postulant un bénéfice, produit Moïse, galerie de descriptions agréables, qui composent un mauvais poème. Poète de détail, poète incomplet, touchant à tous les genres de talent, et ne pouvant rien produire d’achevé, dépourvu surtout de jugement et d’unité, il ressemble fort au temps bizarre qui l’a vu naître et briller, temps de transition, burlesque intermède, passage inquiet de la féodalité à l’unité monarchique, où les avortemens se multiplient. La monarchie pure y est en chrysalide, les suzerainetés indépendantes essaient leur dernier effort. Tout chatoie, tout oscille ; rien de complet ; on emprunte à l’Espagne, on emprunte à l’Italie. On est guindé, affecté, délicat, extravagant, indolent et hâbleur. Le plus grand homme de l’époque, son destructeur et son maître, Richelieu, précipite tout, petits hommes et petits événemens, vers la monarchie absolue qui va les