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ÉTAT MORAL DE L’AMÉRIQUE DU NORD.

quelque sorte leur famille ; car, dans ce pays d’activité, le zèle n’oublie rien : il est inventif, et jamais il n’est pris en défaut. Le nombre des associations et des institutions qu’il a fondées est tellement considérable, que l’énumération en serait fatigante pour le lecteur, et impossible dans un travail qui doit se borner à indiquer les généralités sans entrer dans le détail des choses qu’elles comprennent.

Il ne serait guère plus facile de compter les sectes qui pullulent dans les états de l’Union, ou de caractériser les nuances qui les distinguent, nuances si imperceptibles quelquefois, que l’œil le plus exercé ne saurait les apercevoir. Toute la différence qui sépare deux sectes tient souvent à un texte, ou même à un mot de la Bible qu’elles entendent et interprètent diversement. Parmi ces sectes, plusieurs ont admis et pratiquent la communauté des biens, comme les frères moraves, les sauteurs, dont le culte consiste dans une sorte de danse qui les fatigue et les épuise, et après laquelle ils prennent pour des inspirations de l’esprit saint toutes les impressions qui s’emparent de leur imagination. Robert Owen, dont le système repose sur l’athéisme, la phrénologie et la fatalité, et dont toute la morale consiste dans la recherche du bien-être ; Robert Owen, qui remuait si puissamment, il y a quelques années, le peuple de Londres, et qui a essayé de faire parmi nous des prosélytes, a fondé, en Amérique, une commune où il a voulu réaliser ses chimériques projets, mais qui n’a pas tardé à dépérir sous sa direction, ou plutôt sous celle de son fils. Il fallait que l’athéisme, lui-même, fut formulé comme doctrine dans ce pays où toutes les sectes semblent s’être donné rendez-vous, et où la pensée de l’homme prend comme naturellement la forme religieuse, quelque irréligieuse qu’elle soit d’ailleurs dans son principe, dans sa tendance ou dans son but.

Après la religion, rien ne touche d’aussi près aux intérêts moraux et à la vie spirituelle d’un peuple, rien n’en détermine à un aussi haut degré le développement, que l’éducation. Sous ce rapport, comme sous tant d’autres, les États-Unis offrent un contraste frappant avec la plupart des états européens ; mais, de tous les domaines de la vie, il n’en est peut-être pas un seul qui y soit aussi puissamment gouverné par les circonstances. On conçoit, en effet, que chez un peuple sans passé, qui touche encore à l’origine de son histoire, et dont toute l’activité est nécessairement tendue vers l’avenir, l’éducation et l’instruction doivent reposer sur d’autres bases, et être dirigées vers un autre but, que chez les peuples de l’Europe qui ont reçu du passé une histoire toute faite, des formes plus ou moins inévitables, des souvenirs puissans et une impulsion à laquelle il est impossible d’échapper tout-à-fait. Ici, il y a un vaste champ pour cette partie spéculative et esthétique de l’éducation qui tient à la mémoire, à l’imagination et au cœur ; là, elle est comme enchaînée à un but tout pratique, et qui est si près de vous, qu’il vous suffit de tendre la main pour l’atteindre. Il serait donc souverainement injuste de reprocher aux Américains ce qui est une condition nécessaire de leur état actuel ; et si l’éducation