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LES CÉSARS.

que de nouveaux ordres fussent donnés, que d’évènemens pouvaient naître ! » Chose étrange et nouvelle ! une guerre contre César fut sur le point d’éclater ; le parti stoïque allait combattre. Mais cette idée de guerroyer contre César étourdissait les esprits, et, de l’avis de ses philosophes, Plautus, homme énergique et brave, se laissa tuer paisiblement par ce détachement qu’un eunuque commandait. — On porta les deux têtes à César ; il se railla de la calvitie précoce de Sylla et du long nez de Plautus. Il écrivit au sénat, ne s’avouant pas l’auteur de leur mort, mais outrageant leur mémoire, ce qui en disait assez. Tout cela se passait (car les voluptés de Néron, dit Tacite, ne lui faisaient pas perdre un crime) pendant qu’il allait faire admirer sa belle voix à Naples, pendant qu’à Rome il soupait magnifiquement au coin de toutes les places, et « se servait de toute la ville comme de sa maison ; » pendant que Poppée accouchait à Antium, lieu de naissance favori des Césars, que le sénat votait des sacrifices pour son ventre, courait tout entier à Antium pour la féliciter, et, au bout de quatre mois, la petite fille étant morte, faisait celle-ci déesse, lui donnait un temple et un prêtre ; tout cela se passait enfin au milieu de magnificences tellement grandioses et tellement romaines, que Tacite lui-même demande la permission de n’en parler qu’une fois.

Pendant ces magnificences, l’incendie de Rome éclata. Suétone et Dion accusent Néron d’en être l’auteur ; Tacite, plus sévère, est pourtant plus réservé à cet égard. Je ne me mêle pas de décider cette question de dix-huit siècles ; mais l’esprit artiste, le dilettantisme en fait de spectacle, l’amour de la poésie en action, allaient assez loin chez Néron pour que, Rome une fois en feu, il prît son parti de la voir brûler. Quand le troisième jour de l’incendie il arriva d’Antium, et vit la flamme maîtresse de la ville se promener dans les rues tortueuses de Rome, onduler sur les collines, faire écrouler dans le Tibre les étages irrégulièrement amoncelés de ces immenses maisons ; quand il entendit cette confusion de clameurs, ces luttes inutiles, ces fuites, ces cris des brigands, ces menaces des incendiaires qui disaient tout haut : « Ne nous arrêtez pas, nous avons des ordres ! » quand il vit cette masse de peuple, traînant ses blessés et ses morts, se réfugier au milieu du champ d’Agrippa entre les monumens et les tombes, et chercher un abri partout où il n’y avait pas un toit ; enfin lorsqu’il vit la place devenir libre pour son palais, et sa demeure, jusque-là misérablement confinée sur deux collines, détruite grâce aux dieux ; qu’alors il pensa que cette Rome vieille,