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le rêve de sa pensée. L’ajustement de Marguerite est gracieux, et jusqu’au choix des couleurs, simples, graves et pourtant jeunes, si je puis m’exprimer ainsi, tout se réunit pour faire de cette charmante figure la personnification la plus complète de la jeune vierge. Les mains sont admirablement posées et d’un dessin charmant. Je trouve quelque chose à redire dans la partie inférieure du corps ; on ne sent pas la démarche élastique d’une jeune fille. Les étoffes aussi sont trop vaguement rendues, et leur nature n’est pas, à mon goût, suffisamment précisée. Le Faust forme un contraste bien senti avec la Marguerite : Son front soucieux qui recèle de sombres pensées, et peut-être déjà des remords, ne fait que plus vivement ressortir la sécurité de conscience, et la candeur naïve peintes sur tous les traits de la jeune fille. J’aime moins la tête du Méphistophélès, qui me paraît en outre une réminiscence du type contestable que Retsch a rendu populaire. À mon sens, Méphistophélès ne doit point grimacer, et le diable, lorsqu’il fait tant que de déposer sa queue et ses cornes, doit prendre un visage plus humain. On ne comprend pas bien d’abord le lieu de la scène, et généralement on trouve qu’il y a trop de figures dans cette composition ; mais il était nécessaire de montrer la foule sortant de l’église ; seulement, le tableau gagnerait, je crois, transporté sur une plus large toile. J’adresserai un reproche plus grave à M. Scheffer. En perfectionnant le modelé de ses figures ; en les rendant plus précises et plus vraies, il a perdu quelque peu des qualités brillantes qui distinguaient sa palette. Son coloris est devenu terne, lourd, et, pour rendre ce tableau parfait à mon goût, j’y voudrais trouver un peu de cette couleur saisissante et harmonieuse qui a élevé si haut l’école flamande. Je demande beaucoup, dira-t-on, et peu de maîtres ont réuni les qualités que je voudrais voir rassemblées ici. À ce sujet, qu’il me soit permis de raconter l’historiette suivante que j’ai apprise il y a deux jours. Un jeune homme avait fait une tragédie. Il la montre à un de ses amis qui loue le plan, approuve les caractères, admire la versification ; il n’a qu’une observation à faire. — « Pourquoi n’avez-vous pas mis dans votre pièce plus de ces mots à effet qui enlèvent le public, comme le : qu’il mourût du vieil Horace. Rodrigue, as-tu du cœur, etc. » — Voilà ce que je demande aussi, mais M. Scheffer a donné le droit d’être exigeant, surtout lorsqu’on se borne à le prier, après avoir acquis des qualités nouvelles, de ne pas renoncer à celles qui lui avaient déjà marqué un rang distingué dans les arts.

La critique qui précède s’applique encore aux deux tableaux