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dogmatique, constamment écrite en latin au moyen-âge ; et de même qu’il faut aller jusqu’à Calvin pour trouver un traité français de théologie dogmatique, il faut aller encore plus loin, il faut aller jusqu’au grand novateur en philosophie, jusqu’à Descartes, pour trouver l’emploi de la langue française dans des matières purement philosophiques. Le premier exemple, qu’on en peut citer, est le Discours sur la méthode ; les Méditations elles-mêmes ont été écrites d’abord en latin, et traduites, il est vrai, presque aussitôt en français.

L’histoire a commencé, au moyen-âge, par être une traduction de la chronique latine. Les deux grands ouvrages qui portent le nom de Roman de Brut et de Roman de Rou, ne sont que des translations en vers, l’un d’une chronique, l’autre de plusieurs. L’histoire fait un pas de plus ; elle devient vivante, elle est écrite immédiatement en langue vulgaire, sans passer par la langue latine, et ceci a lieu dans le midi comme dans le nord de la France, en provençal et en français, en vers et en prose, presque simultanément : en vers provençaux dans la chronique de la guerre des Albigeois, si pleine de feu, de mouvement, de vie, si fortement empreinte des sentimens personnels du narrateur ; et, en prose française, dans l’histoire de Villehardoin, marquée d’un si beau caractère de vérité, de gravité, de grandeur.

Les deux successeurs de Villehardoin, Joinville et Froissart, bien que d’un mérite inégal, continuent à mettre la vie dans l’histoire, en y introduisant l’emploi de la langue vulgaire, et en l’animant de leur propre individualité ; entre leurs mains l’histoire passe de l’état de chronique latine, à celui de mémoire français.

La plupart des autres genres de littérature n’ont pas une origine aussi complètement latine que ceux dont je viens de parler. Ainsi, la poésie lyrique des troubadours et des trouvères, et surtout la portion de cette poésie qui roule sur les sentimens de galanterie chevaleresque, n’a pas une source latine ; cette poésie est née avec la galanterie chevaleresque elle-même, et l’expression n’a pu précéder le sentiment. Cependant on trouve encore des liens qui rattachent à la latinité les chants des troubadours et des trouvères. La rime qu’ils emploient a commencé à se produire insensiblement dans la poésie latine des temps barbares. Enfin, le personnage même des troubadours procède des jongleurs, et ceux-ci sont, comme leur nom l’indique, une dérivation de l’ancien joculator, qui faisait partie, aussi bien que les histrions et les mimes, d’une classe d’hommes consacrée aux jeux dégénérés de la scène romaine.