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DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE AU MOYEN-ÂGE.

Il va sans dire que la poésie épique, chevaleresque, n’a rien à faire non plus avec les origines latines ; elle est dictée par les sentimens contemporains : ce qu’elle raconte en général, c’est la tradition populaire telle qu’elle s’est construite à travers les siècles et par l’effet des siècles ; il faut excepter cependant les poèmes qui ont pour sujet des évènemens empruntés aux fables de l’antiquité : la guerre de Troie, par exemple, telle qu’on la trouvait dans les récits apocryphes de Darès le Phrygien ou de Dictys de Crète ; la guerre de Thèbes, l’expédition des Argonautes, telles qu’on les trouvait dans Ovide ou dans Stace. Là le moyen-âge a eu devant les yeux des modèles latins, mais là encore la donnée populaire, nationale, moderne, a puissamment modifié, ou plutôt a complètement transformé la donnée antique. Si les hommes du moyen-âge n’étaient pas tout-à-fait étrangers aux aventures de la guerre de Troie, de la guerre de Thèbes ou à l’expédition des Argonautes, ils ne pouvaient comprendre l’antiquité dans son esprit, dans son caractère, dans ses mœurs. Le moyen-âge, en donnant le costume et les habitudes chevaleresques à des guerriers grecs ou troyens, les enlevait en quelque sorte à l’antiquité, et se les appropriait par son ignorance.

Les poèmes dont Alexandre est le héros, bien que ce personnage appartienne à l’histoire ancienne, ne doivent pas cependant être confondus avec les précédents, car cet Alexandre n’est ni celui d’Arrien, ni celui de Quinte-Curce ; c’est un Alexandre traditionnel et non historique, c’est celui que racontent les Vitæ Alexandri magni, écrites d’après des originaux grecs, et contenant, non pas l’histoire, mais la tradition orale sur Alexandre, formée après sa mort dans les provinces qu’il avait soumises. Ainsi, l’Alexandre des épopées du moyen-âge n’appartient pas à l’antiquité, mais à la légende comme Charlemagne ou Arthur. Pour ces derniers, le fait est incontestable, et ce n’est pas de l’histoire qu’ont pu passer dans le domaine de la poésie chevaleresque ces deux noms qu’elle a tant célébrés. Quant aux chroniques dans lesquelles Charlemagne figure d’une manière plus ou moins analogue à celle dont il figure dans les romans de chevalerie, c’est, comme dans la chronique du moine de Saint-Gall, un récit fait d’après les traditions vivantes, ou, comme dans la chronique de Turpin, un récit fait d’après des chants populaires. Ces chroniques ne peuvent donc pas être considérées comme une source latine à laquelle auraient puisé les poèmes de chevalerie sur Charlemagne, mais comme un intermédiaire qui aurait recueilli avant eux des chants et des récits plus anciens. La chronique de