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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/260

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aussi que les colons pouvaient être séparés des fonds sur lesquels ils étaient trop nombreux, pour être attachés à d’autres fonds qui manquaient de cultivateurs ? De plus, si la loi eût prohibé ce qu’on peut appeler l’affranchissement des colons, n’eût-il pas toujours été en la faculté du maître, désireux de se soustraire à cette disposition, de laisser prendre la fuite à ceux qu’il voulait rendre libres, en se proposant bien de ne jamais les revendiquer ? Enfin, puisqu’il avait le droit de réduire en esclavage le colon qui cherchait à fuir[1], ne pouvait-il pas s’entendre avec son colon, pour que celui-ci prît la fuite, et, après l’avoir réduit en servitude, le mettre en liberté suivant les formes propres à l’affranchissement des esclaves ? Bref, rien n’empêchait le colon de descendre à l’esclavage pour remonter à la liberté. Personne, en effet, ne supposera que le droit d’affranchir tout esclave ait été refusé à son maître. Un auteur de la seconde moitié du Ve siècle paraît d’ailleurs nous fournir une preuve directe de l’affranchissement des colons. « Le fils de votre nourrice, écrit Sidoine Apollinaire à Pudens, vient de ravir la fille de la mienne… Mais je pardonnerai volontiers à cet homme si, de son maître que vous êtes, vous consentez à devenir son patron, en le dégageant de l’inquilinat où il est né. La femme, à qui je viens de donner la liberté, paraîtra non plus avoir été trompée, mais avoir été prise en mariage, si notre coupable, pour lequel vous intercédez, devenu de tributaire client, sort de la condition des plébéiens pour entrer dans celle des colons… La liberté du mari procurera sa grace au ravisseur[2]. » De ce passage et des observations précédentes, on est, je pense, en droit de conclure que le colonat, aussi bien que l’esclavage, pouvait cesser par la volonté du maître.

DU COLONAT SOUS LA DOMINATION DES FRANCS

Le colonat, de même que la plupart des institutions romaines, s’altéra sous la domination des peuples barbares. En s’écartant de la liberté pour se rapprocher de l’esclavage, il dégénéra de jour en jour ; la servitude, au contraire, tempérée par la charité chrétienne, tendit, en devenant de plus en plus douce, à se confondre avec lui. Ce qui distingue surtout le colonat romain du colonat du moyen-âge, c’est que, sous les empereurs, le colon n’était soumis qu’à des redevances envers le maître, tandis que sous les rois des Francs et des autres

  1. Cod. Th., v, 10, 1 — Nov. Valent., tit. IX. — Cod. Th. V, 9, 1.
  2. Sidon. Apoll. Epist. V, 19.