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REVUE. — CHRONIQUE.

bizarres, aux aventures compliquées, aux rencontres forcées des romans modernes. Beaucoup d’observations de cœur déliées et quelquefois un peu subtiles, dont les femmes ont seules le secret, un sentiment exquis des convenances qui n’exclut nullement la sensibilité et la grace, des mots spirituels et courts qui indiquent une connaissance parfaite du monde, ornent et relèvent à propos l’arrangement volontairement simple du récit.

On pourrait adresser quelques reproches à cette attachante histoire, et il serait bien désirable que l’auteur, en se conformant aux conseils d’une critique sage et désintéressée, prît, par son prochain livre, une place définitive parmi les romanciers de ce temps-ci. Léonore de Biran révèle un talent si distingué, qu’on y peut presque compter, et que nous abdiquons volontiers, en cette circonstance, notre réserve, ou si l’on veut notre prévention ordinaire au sujet des romans et surtout des romans de femmes. Mme de Cubières a déjà écrit plusieurs livres : Marguerite Aimond et les Trois Soufflets ; et par la publication d’Emmnerik de Mauroger, elle a quelque peu attiré l’attention publique, qui, sans nul doute, ne peut que se fixer de plus en plus sur un écrivain si habile et si naturel. Malgré Werther, malgré l’Héloïse de Rousseau, et quelques autres romans du premier ordre, il est permis de penser que la forme épistolaire n’est pas la meilleure. Nous félicitons donc Mme de Cubières d’avoir repris, dans Léonore de Biran, le procédé narratif dont l’absence rend quelquefois languissante l’action d’Emmerik de Mauroger.

Familiarisée avec ses personnages, Mme de Cubières a cru dès l’abord ses lecteurs aussi bien informés qu’elle, et la confusion des noms de baptême déroute pendant les premières pages de Léonore. Mme de Cubières ferait bien aussi de resserrer le cadre de ses romans, où l’unité manque un peu et où elle devrait ne pas admettre des personnages par trop inutiles à l’action. Peut-être, par exemple, Léonore de Biran aurait-elle gagné à être dégagée de certaines parties un peu longues et pâles ; l’épisode de Mme de Treuk, la vie du général Darbel, auraient pu, sans inconvénient, être réduits à de moindres proportions. Quant au style, il est d’une femme du monde, élégant, fin et simple. Je le voudrais, dans quelques endroits, un peu plus châtié et plus sobre de détails. Il y a aussi çà et là quelques rares prédilections pour des mots un peu bizarres, comme repoussement dans le sens d’aversion. Mais ce sont là de bien minces objections après une aussi charmante lecture. Le seul conseil sérieux que la critique puisse donc offrir à Mme de Cubières, c’est de donner à ses livres leur vraie proportion, et surtout de ne pas gaspiller par des écrits trop fréquens un talent qui n’a besoin que de se concentrer dans une œuvre étudiée et de mûrir en se contenant.


Les Salaziennes, par M. Aug. Lacaussade[1]. — Ce recueil annonce du talent et un sentiment poétique élevé. Nous répéterons, cependant, à propos des vers de M. Lacaussade, ce que nous avons eu déjà occasion de dire depuis

  1. Paris, 1839, in-8o, chez Aillaud, 11, quai Voltaire.