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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/561

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DES CLASSES SOUFFRANTES.

maladives et de plus en plus fréquentes qui tiennent dans un douloureux éveil nos vieilles sociétés, si désireuses du repos. Nous savons bien que les causes de ce phénomène sont diverses, et qu’elles tiennent en partie à un état passager des esprits ; mais il en est qui sont permanentes, et que nous allons tâcher de découvrir, en prenant toujours M. de Gérando pour guide principal.

III. — des causes du malaise social.

Le malaise d’une société et l’appauvrissement d’une partie de ses membres sont déterminés, suivant l’auteur du traité de la Bienfaisance publique par cinq causes principales, qui, d’ordinaire, agissent isolément, et parfois se combinent d’une manière effrayante : 1o la mauvaise répartition de la fortune publique, ou, pour parler le langage précis des économistes, du capital social ; 2o l’action absorbante du commerce et de l’industrie ; 3o l’accroissement excessif de la population, relativement aux moyens de subsistance ; 4o le vice des institutions publiques ou les fautes administratives ; 5o enfin, le désordre dans les mœurs et les relations privées. À ces causes premières de l’indigence, il ajoute l’abus des remèdes employés contre l’indigence même, les erreurs en matière de charité publique.

L’accroissement de la somme totale des richesses n’est pas une mesure invariable de prospérité. Quand cette richesse, en s’augmentant, se répand également dans toutes les classes, il y a bénéfice réel et une sorte d’épanouissement. Le contraire arrive quand les forces acquises se distribuent d’une façon inégale : car cette augmentation de la fortune publique a eu pour effet de changer l’état des mœurs, de solliciter des consommations, de créer en un mot des nécessités nouvelles. Or, d’après la remarque développée plus haut, la misère étant relative, sa limite étant essentiellement variable et uniquement déterminée par l’opinion, il y a surcroît de misère et souffrance inquiétante quand les besoins généralement provoqués ne sont pas généralement satisfaits. La société se trouve dans la piteuse condition d’un homme qui s’enrichit et perd la santé. C’est ainsi que doivent s’expliquer l’accroissement du nombre des pauvres et la sourde irritation qui coïncide aujourd’hui avec l’enrichissement de presque tous les peuples européens. L’inégalité dans la répartition des fortunes, dira-t-on, était beaucoup plus grande encore dans les âges antérieurs : il est vrai, mais la majorité s’y résignait, comme à une loi naturelle. Chacun apercevait, dans l’état où il était né, la limite extrême de son ambition. Aujourd’hui, les barrières sont renversées et les classes confondues, les ambitions sont sans bornes, et l’on n’a pas encore compris qu’un droit ne saurait être que le couronnement d’un devoir.

Hâtons-nous d’ajouter, pour ne pas laisser prise aux farouches apôtres d’une égalité chimérique, que si la trop grande disproportion des fortunes engendre la misère, un partage trop égal serait un acheminement vers le même abîme. Si la somme des profits réalisés par une société se distribuait de telle sorte que chacun eût à peu près les mêmes élémens de bien-être, tout principe