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DES CLASSES SOUFFRANTES.

rices seraient encore une cause d’embarras pour les nécessiteux dont le travail journalier est l’unique ressource ; l’administration parisienne veille sur les entreprises qui se chargent du placement des nouveau-nés, et elle offre aux nourrices que l’indigence des parens pourrait effrayer, une garantie qui lui coûte annuellement une vingtaine de mille francs. Depuis quelque temps, les malheureuses qui vont expier dans un hospice la faute qui les a rendues mères, reçoivent un secours qui leur permet d’allaiter leur enfant, ou de le mettre en nourrice. Le double effet de cette libéralité est de préserver de l’abandon de pauvres petites créatures, et de relever des ames abattues en les exerçant au devoir maternel.

La première enfance exige de grands soins : elle décide très souvent du reste de la vie. Mais le travail de la mère tient sa place dans le budget d’un pauvre ménage : si elle le néglige pour veiller sur son enfant, pour lui apprendre ce qui est mal et ce qui est bien par un front sévère ou par un sourire, elle se prive du revenu de ses doigts, et condamne à la gêne le reste de la famille. Si elle ne peut sacrifier son salaire, fera-t-elle de sa chambre une prison pour le pauvre enfant[1] ? ou bien l’abandonnera-t-elle aux hasards de la rue et aux dangers des mauvaises rencontres ? La difficulté paraîtrait insoluble, si le génie de la bienfaisance ne l’avait récemment tranchée. Au siècle dernier, le pasteur Oberlin, touché de l’abandon des petits enfans pendant les heures de travail, eut l’idée de les rassembler autour du presbytère et de les confier à la surveillance de sa femme et de sa servante, Louise Scheppler, qui ne soupçonnait guère que la célébrité dût un jour s’attacher à son nom. Cette bonne œuvre, accomplie naïvement sur l’un des sommets des Vosges, resta long-temps ignorée. Un essai fut seulement tenté au commencement de notre siècle, par Mme la marquise de Pastoret, qui réunit à Paris, au faubourg Saint-Honoré, un certain nombre de petits enfans sous la surveillance de quelques religieuses. Plusieurs villes de l’Europe s’approprièrent la même idée sans en comprendre d’abord toute la portée. Ce fut le pays qui doit désirer le plus la régénération des classes ouvrières, ce fut l’Angleterre qui la première supputa ce que la société pouvait gagner à ouvrir des asiles pour les enfans. Leur moindre utilité est de rendre l’aisance aux ménages, en les affranchissant d’une surveillance onéreuse. Que ne doit-on pas espérer d’une institution qui, remplaçant, depuis le terme du sevrage jusqu’à l’âge de l’école, la vigilance éclairée de la plus tendre mère, dirige les premiers développemens physiques, substitue au dévergondage des enfans délaissés des habitudes d’ordre et de décence, les prépare par des exercices qui ne sont qu’un jeu, aux fatigues de l’étude, et par de bonnes impressions morales aux épreuves du devoir !

Les premières réalisations de ce vaste plan furent essayées à Londres vers 1820. Une dame[2] fit connaître chez nous le plan, le mécanisme et les magni-

  1. On a constaté à Londres que plus de cent enfans, enfermés par leurs parens dans des chambres à feu, ont péri brûlés pendant l’hiver de 1835.
  2. Mme Millet, aujourd’hui inspectrice des salles d’asile, qui fut secondée par les