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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/625

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LOPE DE VÉGA.

cela, qui lui ait fait des dédicaces de drame, en souhaitant sérieusement son suffrage. L’auteur des deux plus belles pièces qui aient été composées sur le sujet du Cid, Guillem de Castro, dédia de même à Marcela un volume de son théâtre. Sa dédicace est un peu moins tendre ou un peu plus contenue que celle de Lope ; mais elle n’est pas moins flatteuse pour celle à laquelle elle s’adresse.

À l’instant même où elle recevait de tels hommages, Marcela ne songeait qu’à se retirer du monde. Elle était décidée à se faire religieuse dans l’ordre austère des carmélites déchaussées, et sollicitait pour cela l’autorisation de son père. Il est évident que Lope ne pouvait la lui accorder facilement ; mais il dut se rendre à ses demandes réitérées et pressantes, où il crut voir tous les caractères d’une vocation sérieuse. Marcela entra donc, en 1621, comme novice dans un monastère de carmélites déchaussées de Madrid, et y prit le voile l’année suivante. Lope a composé sur cette grave cérémonie une pièce de vers fort touchante, où il décrit avec beaucoup d’exaltation les rapides alternatives de ses émotions paternelles, lorsqu’il se voit partagé entre les regrets de perdre Marcela, et la joie chrétienne de la voir s’engager si courageusement dans les voies du ciel.

Feliciana, la plus jeune de ses filles, fut la dernière dont il se sépara ; il la donna en mariage, on ne sait bien à quelle époque, à Louis de Usategui, à qui l’on doit la publication de plusieurs des œuvres posthumes du poète. On pourrait dire que cette séparation fut le dernier évènement de la vie de Lope. Dès-lors, on ne peut plus se figurer son existence que comme une série monotone d’exercices pieux et de travaux littéraires indivisiblement entrelacés les uns dans les autres, et entre lesquels la curiosité la plus avide chercherait vainement le moindre incident, le moindre évènement nouveau. Montalvan parle, il est vrai, de deux grands malheurs qu’il éprouva vers les dernières années de sa vie, et qui faillirent l’accabler ; mais, selon son usage de taire les particularités de la vie de Lope que l’on aimerait le mieux connaître, il ne dit pas quels furent ces malheurs ; il garde sur ce point le même silence que si l’honneur de Lope l’eût exigé.

Il n’y avait pas jusqu’à sa renommée prodigieuse et toujours croissante qui ne fût devenue, pour Lope, une gêne et une sorte de vexation journalière. Il était à Madrid l’objet d’une insatiable curiosité. Quelque part qu’il se montrât, la foule s’assemblait autour de lui ou le suivait dans la rue ; les portes, les balcons, les fenêtres, se remplissaient de curieux, entre lesquels les femmes se distinguaient par la vivacité de leur enthousiasme. Ces démonstrations de l’admiration