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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/626

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populaire, qui lui étaient devenues de plus en plus indifférentes, avaient fini par lui être importunes ; il prenait des précautions pour sortir et se dérober à la curiosité toujours aux aguets sur ses traces. Son nom était devenu comme une formule générale de louange et d’admiration : pour dire d’une chose qu’elle était belle en son genre, on disait que c’était une chose de Lope.

La nature avait doué Lope d’une vigueur de corps dont le déclin fut très lent et comme insensible. Ce ne fut que vers la fin de sa vie, et, selon toute apparence, à la suite des deux derniers malheurs seulement indiqués par Montalvan, qu’il connut les infirmités physiques et les souffrances qui les accompagnent. Les premiers symptômes de la maladie dont il mourut l’assaillirent le 6 août 1635. Ayant dîné ce jour-là avec quelques amis, il se trouva bientôt après saisi de douleurs si vives, qu’elles lui arrachèrent le souhait d’une mort prompte. Néanmoins, deux jours après, il se sentit mieux et voulut reprendre le cours régulier de ses habitudes. Il se leva donc au point du jour, travailla quelques momens ; après quoi, ayant dit son bréviaire et sa messe, il courut arroser les dix ou douze fleurs de son jardinet, et rentra pour se donner la discipline jusqu’au sang, ce qui était sa pratique de tous les vendredis.

Vers le milieu de la journée, il se sentit du malaise et du frisson. Néanmoins, la soirée venue, il sortit pour assister à des thèses de médecine et de philosophie qui devaient être soutenues au séminaire des Écossais, et auxquelles il avait été invité ; mais, à peine arrivé, il se trouva mal, et fut reconduit chez lui en chaise à porteur. En rentrant, il se coucha ; le lendemain, les médecins furent appelés. Lope fut soigné, purgé, et se sentit plus malade. Au bout de peu de jours, les médecins n’avaient plus rien à faire ; le tour des prêtres était venu. Lope reçut les derniers sacremens avec les plus ferventes démonstrations de résignation et de piété. Il fit ensuite appeler sa fille Feliciana pour lui donner sa bénédiction et la recommander au duc de Sessa, qui était là et ne s’éloigna pas un seul moment.

Le mourant était entouré de nombreux amis à chacun desquels il adressa de tendres adieux et de pieuses recommandations. La journée finissait : elle avait été longue pour lui ; épuisé de fatigue, d’émotions et d’angoisse, il semblait avoir besoin de repos : on le laissa, dans l’espoir que la nuit pourrait lui rendre un peu de calme. Cet espoir fut trompé ; l’agitation et l’angoisse redoublèrent ; le matin, quand ses amis revinrent, il le trouvèrent respirant à peine, et bientôt après il expira en prononçant les noms de Jésus et de Marie, con-