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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/66

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blâmerait peut-être sans raison, elle s’en est réservé le monopole. Par là, elle s’est acquis dans le présent une supériorité irrésistible qui lui permet d’écraser sans effort toutes les industries rivales à l’étranger. Aussi cette révolution, qui doit être un jour si féconde, n’a-t-elle été jusqu’aujourd’hui, pour tous les pays de l’Europe, hors l’Angleterre, que la cause d’une grave perturbation.

La France en particulier en a été atteinte dans ses intérêts les plus chers. L’industrie linière, qui a toujours occupé chez elle une si grande place, et qui est entrée si avant dans les habitudes de ses populations rurales, a été menacée, ébranlée de toutes parts. Le mal s’est fait sentir avec d’autant plus de rigueur qu’on y était moins préparé. Aussi la filature et le tissage du lin et du chanvre, ces deux sources antiques et si précieuses de travail et de richesse, désertent nos campagnes, non pour se transporter au sein de nos villes, mais pour aller grossir le domaine de l’Angleterre, où ils étaient demeurés jusqu’à présent presque inconnus. Notre culture en souffre elle-même dans une de ses branches les plus fécondes, et les pertes que l’industrie éprouve retombent sur elle de tout leur poids.

Cependant quelques tentatives ont été faites, non sans succès, pour dérober à l’Angleterre le secret de ses inventions. Malgré toute la rigueur de ses lois, ces précieuses machines ne sont pas demeurées long-temps son partage exclusif, et, grace aux soins de quelques industriels intelligens et actifs, elles n’ont pas tardé à rompre toutes les barrières qu’une surveillance jalouse leur opposait. Déjà elles sont installées en France et en Belgique, dans quelques vastes manufactures, et à Paris même des ateliers se sont formés, où elles se construisent avec autant de perfection que de l’autre côté du détroit. Ainsi l’industrie française se renouvelle à son tour, afin de soutenir la lutte avec des armes égales, et de rendre au pays, sous une autre forme, les avantages qu’il aura perdus. Malheureusement ce travail de rénovation, mal secondé par la législation existante, n’a pas encore produit les résultats qu’on en devait attendre. Faute de quelques encouragemens nécessaires, il se trouve comme arrêté dans son cours, en sorte que, dans le moment même où nous écrivons, notre industrie linière est toujours en péril, et les brèches qu’elle a reçues s’élargissent de jour en jour.

Telle est, avec ses circonstances essentielles, la crise dont nous allons essayer de retracer le tableau. Tous ces faits, que nous venons de résumer en quelques lignes, formeront un jour une des pages les plus intéressantes de l’histoire de l’industrie moderne, et n’y occuperont pas moins de place que les prodiges de l’industrie du coton, sur lesquels la statistique et l’histoire ne se lassent point de revenir. En attendant que l’histoire les reprenne, en les liant à ceux qui les suivront dans l’avenir, nous indiquerons leur succession jusqu’au moment présent.

Mais à ces faits curieux se lie, pour la plupart des peuples de l’Europe, et en particulier pour la France, une des plus hautes questions d’intérêt public que le gouvernement ou la législature ait à résoudre. Il était impossible que ces peuples, atteints, dans la plus vitale de leurs industries, par l’invasion