Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/661

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
657
DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

Philémon, l’usage des lectures d’apparat n’avait pas encore remplacé celui des représentations scéniques, on est autorisé à croire qu’il s’agit en cet endroit de la lecture d’une pièce présentée.

Quant aux représentations d’essai, il nous est parvenu plusieurs anecdotes théâtrales, qui semblent établir leur existence, au moins dans les beaux temps du théâtre d’Athènes. Valère-Maxime raconte que le peuple ayant demandé à Euripide (postulante populo) de retrancher une sentence immorale d’une de ses tragédies, le poète s’avança sur la scène et s’écria : « Quand je fais jouer une pièce, ce n’est pas vous qui êtes mes maîtres, c’est moi qui suis le vôtre. Dixit se ut populum doceret, non ut ab eo disceret, fabulas componere solere[1]. »

Je pense que ce colloque eut lieu dans une représentation préparatoire et non dans une représentation solennelle. En effet, s’il s’agissait d’une représentation ordinaire, le narrateur n’eût pas employé cette expression postulante populo ; car, dans les représentations solennelles, le peuple applaudissait ou sifflait, mais ne demandait ni corrections ni suppressions, et aucun pourparler n’aurait pu décemment s’établir entre le poète et les spectateurs. De plus, quand Euripide dit : « Ce n’est pas vous qui êtes mes maîtres, c’est moi qui suis le vôtre, » le poète n’aurait pu qu’improprement parler ainsi à une assemblée composée de beaucoup d’habitans de l’Attique et d’étrangers ; mais ces paroles sont très justes et très convenables adressées à la tribu particulière, dont il était, en effet, l’instituteur ou le didascale[2].

On lit l’anecdote suivante dans Plutarque : « Euripide ayant commencé la tragédie de Mélanippe par cette apostrophe : « Jupiter ! quel que soit celui qui porte ce nom, car je ne le connais que par ouï-dire… » il s’éleva de tels murmures, que le poète fut obligé de changer ce vers, et l’écrivit comme il est maintenant : « Jupiter ! ainsi nommé avec vérité[3]… »

Je crois qu’il s’agit encore ici d’une représentation d’essai ; car, comme une tragédie n’était, du temps d’Euripide, presque jamais

  1. Valer. Maxim., lib. III, cap. VII, ext. 1.
  2. Sénèque raconte la même anecdote (epist. 115), et son récit ne peut, je l’avoue, s’appliquer qu’à une représentation solennelle ; mais cet écrivain est tombé, en cet endroit, dans une bévue qui ôte tout crédit à son témoignage. Il cite la tirade qui a, suivant lui, scandalisé les Athéniens et l’attribue à la tragédie de Bellerophon, tandis que le passage cité appartient à la tragédie de Danaé, au rapport d’Athénée et de Stobée.
  3. Plutarch., Amator., cap. XXXI, tom. II, pag. 756, B.