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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/662

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REVUE DES DEUX MONDES.

jouée plusieurs fois de suite, le poète n’aurait eu que bien peu d’intérêt à corriger après coup un vers, par la seule raison qu’il avait excité des murmures.

Mais ce qui prouve, à mon avis, d’une manière péremptoire l’opinion que j’avance ici, c’est qu’Aristophane, cet adversaire acharné d’Euripide, qui lança tant de traits contre l’impiété de ce poète, cite, dans les Grenouilles, les premiers vers de la Mélanippe, suivant la seconde leçon, c’est-à-dire, dans la forme corrigée[1]. Or, il est évident que, si la première version avait eu la publicité d’une représentation publique, et avait été connue d’Aristophane, celui-ci n’aurait pas manqué de grossir de ce nouveau chef ses incessantes accusations contre le disciple de Socrate.

L’Odéon, qui était un petit théâtre couvert, paraît avoir été le lieu le plus ordinaire de ces représentations, comme il le fut certainement des répétitions. Peut-être est-ce aux jugemens littéraires que les tribus rendaient dans cette enceinte, qu’Aristophane fait allusion dans les Guêpes, lorsqu’énumérant tous les lieux où les Athéniens rendaient la justice, il ajoute : « Nous jugeons à l’Odéon. » Les lectures préalables qui n’étaient pas accompagnées de spectacle, ne demandaient pas le même mystère et se faisaient au théâtre, comme semble le prouver le récit d’Apulée, qu’on vient de lire.

À Rome, il y avait aussi, dès le temps de Térence, des représentations d’épreuve faites en présence des édiles. Sous l’empire, ces représentations avaient lieu dans les jardins du préteur[2]. Quelques personnes assistaient à ce huis-clos et donnaient leur avis sur l’ouvrage, comme il arrive chez nous aux dernières répétitions. Térence, dans le prologue de l’Eunuque, se plaint de méchans propos tenus par un rival dans une de ces réunions privilégiées[3]. De plus, les édiles, avant d’acheter une pièce, surtout d’un auteur peu connu, ne se contentaient pas de la lire eux-mêmes, ils la soumettaient d’ordinaire au jugement d’un homme éclairé. Suétone nous a conservé, à ce sujet, une historiette curieuse « Lorsque Térence, dit-il, vendit aux édiles sa première comédie, l’Andrienne[4], ceux-ci

  1. Aristoph., Ran., v. 1275.
  2. Quintill., lib. III, cap. VI, 118.
  3. Mme Dacier dit que ces représentations se donnaient dans la maison des édiles, ce qui paraît contredit par les paroles de Térence : Magistratus cum ibi adessent.
  4. Le prologue de l’Andrienne prouve que cette comédie n’est pas le premier ouvrage de Térence. Je crois que le mot Andriam est une mauvaise glose, qui s’est glissée dans le texte.