Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/719

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
715
REVUE. — CHRONIQUE.

tion des cinq puissances, dont quatre peut-être, et trois à coup sûr, sont opposées à ses intérêts. Mais le pacha est dominé par une pensée qui ne lui permet pas d’agir dans cette affaire avec son sang-froid ordinaire et son habileté habituelle. Le sort de son fils chéri, Saïd-Pacha, l’occupe sans cesse. Le vice-roi d’Égypte sait qu’Ibrahim-Pacha verra d’un œil jaloux ce frère qui lui a toujours été préféré, et il veut laisser à chacun de ses fils une position assurée et indépendante, qui ne les mette pas en rivalité. C’est par ces motifs que le pacha a refusé d’écouter toutes propositions autres que l’hérédité des deux pachaliks, car il ne veut pas laisser, en mourant, son fils Saïd dans une situation inférieure à celle d’Ibrahim, ou Ibrahim dans un état de dépendance que celui-ci aurait bientôt changé. C’est donc le grand âge de Méhémet-Ali, et son amour pour son fils, qui l’ont rendu intraitable dans ses négociations avec la Porte. On se demandera sans doute ce que faisait pendant ce temps la France, qui n’a pas, que nous sachions, usé de son ascendant sur le vice-roi d’Égypte pour changer sa détermination. La loyauté du gouvernement français l’a-t-elle empêché de faire ce que la Russie et l’Angleterre eussent sans nul doute fait à sa place et de conclure avec le pacha un traité secret par lequel la France lui eût garanti pour l’avenir l’hérédité de la Syrie ? Une telle convention, qui eût décidé sans doute le pacha, eût-elle été possible ? C’est ce dont on ne pourrait juger que si l’on connaissait la nature des engagemens de la France avec les autres puissances, en ce qui est des affaires d’Orient. Quoi qu’il en soit, les seuls faits que nous connaissions, c’est-à-dire le refus du pacha, et la note présentée au nom des cinq puissances au divan, ne sont pas des faits favorables à la France, qui avait intérêt à ce qu’une lutte fût désormais impossible, c’est-à-dire inutile, entre le sultan et son vassal. Or, après ce que nous venons de dire des inquiétudes de Méhémet-Ali pour sa famille, il est évident qu’en lui refusant l’hérédité de la Syrie, ce qui ne manquera pas d’avoir lieu, on laissera une question pendante pour l’avenir.

Un arrangement direct entre la Porte et le vice-roi d’Égypte n’aurait pas eu cet inconvénient ; car, ou la Porte eût cédé la Syrie, et Méhémet-Ali eût été satisfait, ou le vice-roi eût cédé sur ce point, mais avec une garantie secrète de la France, et celle-ci aurait été maîtresse de choisir le moment favorable pour amener cet évènement. Enfin, si une garantie de ce genre avait paru dangereuse ou déloyale au cabinet français, en forçant le pacha à accepter provisoirement les propositions dont Akiff-Effendi était porteur, les nouvelles négociations ouvertes un jour par le pacha au sujet de la Syrie, n’eussent pas semblé une infraction aux volontés des cinq puissances, comme il adviendra si elles décidaient, dans un congrès, des affaires d’Orient.

Quant au congrès en lui-même, nous sommes étonnés de l’opposition qu’il rencontre dans la presse. A-t-on déjà oublié la conclusion du rapport de M. Jouffroy qui, au nom de la commission de la chambre, exprimait le vœu de voir régler les affaires d’Orient dans un congrès des grandes puissances ? C’était là le vœu de la chambre ; mais quand M. Jouffroy le prononça, la