Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
REVUE DES DEUX MONDES.

ont su perfectionner et féconder, il faut rendre aux initiateurs l’honneur qui leur est dû, et d’autant mieux que cet honneur est trop souvent le seul avantage qui leur revienne. Quoi qu’il en soit, l’établissement fondé par M. Marshall, en 1824, est le premier où le problème de la filature mécanique ait été finalement résolu ; on peut le considérer comme la pépinière de tous les établissements du même genre qui peuplent aujourd’hui les trois royaumes.

À partir de ce moment, l’Angleterre acquit sur nous une supériorité marquée ; le système s’y perfectionna de jour en jour, pendant qu’il demeurait à peu près stationnaire en France. On marcha de progrès en progrès, avec une rapidité sans égale, au point que, six ou sept ans plus tard, ces machines, auparavant si grossières, pouvaient défier tous les parallèles. Leur mécanisme était simplifié, et leur puissance étendue. Elles produisaient déjà des numéros élevés et à des prix considérablement réduits ; elles surpassaient, par la régularité du travail, sinon par la finesse, la fabrication à la main, en même temps qu’elles tiraient un bien autre parti de la matière première. Aussi, après avoir pourvu à toute la consommation de la Grande-Bretagne, elles commencèrent, en 1830, à répandre leurs produits à l’étranger.

Ici une réflexion se présente. C’est en France, et par des mains françaises, que le système de la filature mécanique a été préparé, élaboré, formé ; c’est en Angleterre, et au profit des Anglais, qu’il est devenu, à l’aide de perfectionnemens successifs, un fait industriel puissant. Pourquoi toujours cet étrange partage entre l’Angleterre et la France ? car ce n’est pas dans un cas seulement qu’un pareil phénomène a été observé. Partout, d’ailleurs, l’Angleterre triomphe dans la mécanique, soit qu’elle ait inventé elle-même, soit qu’elle ait repris les inventions des autres pour les perfectionner. Pourquoi donc cette supériorité constante ? Le fait est d’un assez haut intérêt pour qu’on s’applique à en rechercher la cause.

Quelques personnes l’expliquent par le génie différent des deux nations. Le Français, dit-on, invente, et l’Anglais perfectionne ; et par ces seuls mots on croit avoir rendu compte de tout. En fait, rien de plus vrai que cette observation ; mais elle n’explique rien, et la question reste entière.

Si l’on en croit les délégués de l’industrie linière, MM. Defitte et Feray, l’Angleterre ne doit qu’à ses lois prohibitives la supériorité qu’elle s’est acquise dans le cas particulier dont il s’agit. C’est parce que ses filateurs ont été protégés contre l’importation étrangère par des droits prohibitifs, qu’ils ont pu consolider, perfectionner leur œuvre. C’est là ce qui a fait tourner vers leur industrie les capitaux, et qui leur a permis de se lancer avec vigueur dans la voie des découvertes. Peut-être est-il vrai que l’industrie de la filature mécanique devait, selon l’ordre naturel des choses, s’exercer d’abord et se perfectionner dans un pays plus mal partagé que tous les autres quant à la production des fils à la main, et qui fut d’ailleurs protégé contre l’importation étrangère par des droits presque prohibitifs. Telle était l’Angleterre. C’est là que les établissemens naissans pouvaient, avec moins d’effort, prendre possession de la durée, et cette durée était une condition nécessaire du perfectionne-