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rables à la peinture que Polygnote avait naturalisée à Athènes sous Cimon, et qui, au dire d’Aristote, avait plus d’expression et de vie que la sculpture du même temps. Phidias, qui commença par être peintre, ou plutôt qui était peintre et sculpteur comme Onatas d’Égine et comme plusieurs autres de ses contemporains, put bien animer ses statues en leur appliquant les procédés familiers à la peinture ; mais il eut d’autres maîtres que Polygnote.

Phidias reçut les leçons de deux artistes différens, d’Hagias d’abord, disciple de l’ancienne école attique, caractérisée bien plus par l’immobilité que par la raideur, ensuite d’Ageladas, qui appartenait à d’autres traditions. Il y a de nombreuses versions sur le nom de ce second maître de Phidias ; Pline l’appelle Geladas ; le scholiaste d’Aristophane le nomme Élidas. Il y avait un Ageladas d’Argos, artiste célèbre, comme nous avons eu déjà l’occasion de le dire, maître de Polyclète, que les Grecs ont préféré à Phidias, et de Myron qui partagea avec ces deux grands sculpteurs l’admiration de l’antiquité. M. Otfried Mueller ne doute pas que ce ne soit cet Ageladas qui ait achevé l’éducation de Phidias ; ainsi Phidias, Polyclète et Myron seraient les élèves du même artiste et de la même discipline. On n’a pas encore tiré de ce rapprochement les conséquences que je vais présenter et qui me paraissent décisives non-seulement pour la question spéciale qui nous occupe, mais encore pour la théorie générale de l’art antique.

Ageladas était Argien, c’est-à-dire d’une contrée où la vieille tradition achéenne avait été ravivée par les Doriens. Polyclète était de Sicyone, ville qui, après avoir reçu la race dorienne, avait encore conservé le nom des Achéens. Celui-ci eut lui-même pour élève Canachus de Sicyone que Cicéron nous représente comme faisant des statues raides : Canachi signa rigidiora esse, quàm ut imitentur veritatem. Pausanias dit positivement, comme Winckelmann l’a entrevu, que Canachus imitait la dureté des anciens maîtres. Voilà donc l’élève de l’artiste le plus gracieux de la Grèce, qui dans la plus belle époque de l’art, sans que sa réputation en ait souffert, a affecté, on ne dit pas l’immobilité, mais, ce qui est bien différent, la raideur des formes archaïques. Comment expliquer cette contradiction ? Pour se dispenser de le faire, la plupart des archéologues modernes ont reculé l’époque de l’existence de Canachus. Nous n’imiterons pas ce facile expédient.

Le condisciple de Polyclète et de Phidias, Myron, nous offre des signes encore plus singuliers et en apparence plus inexplicables. Il