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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/11

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MÉLANCTHON.

Tout présageait que le nom de Philippe Schwarzerd serait célèbre. Reuchlin traduisit ce nom, selon la coutume de l’époque, dans la langue savante qui était alors la langue universelle. Schwarzerd signifie en allemand terre noire. Reuchlin y substitua un composé de deux mots grecs μελας χθων, et appela son élève du nom de Mélancthon, comme lui-même avait échangé le sien, qui veut dire légère fumée, contre celui de Capnion, qui a le même sens en grec[1].

Mélancthon était né à Bretten, dans le palatinat du Rhin, le 16 février 1497 ; les biographes ont marqué l’heure et la minute. « Il naquit, dit un annotateur de Camérarius[2], pour le bien de tous, à sept heures six minutes du soir. »

Son père, George Schwarzerd, était un armurier d’Heidelberg, fort habile principalement pour les armes de tournois. Les princes en faisaient cas, parce qu’il leur rendait la victoire moins périlleuse et plus facile. Camérarius en fait naïvement l’aveu. Il parle d’un combat singulier entre l’empereur Maximilien et un Italien qui s’était fait redouter. Grace à l’armure que lui avait fabriquée tout exprès George Schwarzerd, le très courageux héros, dit-il, eut si promptement l’avantage sur l’Italien, que celui-ci jeta ses armes, et, tombant à genoux, demanda pardon à l’empereur. Maximilien reconnaissant autorisa George Schwarzerd à porter pour armes de famille un lion assis sur un bouclier noir, la patte droite sur un marteau, la gauche sur une enclume.

Mélancthon passa deux ans à Pforzheim. Mais l’enseignement n’y suffisant plus à l’élève, sa mère l’envoya à Heidelberg, dont l’académie avait alors de la réputation. Il s’y fit d’abord assez distinguer pour qu’on le jugeât capable de faire une classe. À peine âgé de quatorze ans, il fut chargé de donner des leçons de style. Il reçut, le 4 juin 1512, le grade de bachelier, sous le rectorat du docteur Léonard Dietrich. Il voulut monter plus haut, et se présenta pour le grade de maître ès-arts ; mais on le trouva trop jeune, et il fut refusé. Même chose devait arriver dans le siècle suivant à Leibnitz, que l’école de Leipsick trouva aussi trop jeune pour le bonnet de docteur.

Cet échec le dégoûta d’Heidelberg, outre des fièvres fréquentes

    à la cour de l’électeur palatin, après la mort d’Ébérard, duc de Wirtemberg, dont le successeur, Ulrich, venait d’être dépossédé de ses états. Ayant été parmi les conseillers d’Ébérard et étant partisan d’Ulrich, Reuchlin avait été menacé de la prison par un certain moine augustin, ministre et complice de l’ursurpateur.

  1. Camerarius, Vita Philippi Melancthonis, chap. II.
  2. Le principal biographe de Mélancthon.