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qu’il attribuait à l’insalubrité de la ville. Il la quitta donc pour Tubingue, dans le Wirtemberg, où il arriva le 17 septembre 1512, Jean Schemern étant recteur de l’académie. Les facultés de théologie, de droit et de médecine, étaient florissantes. Melancthon étudia tout ce qu’on y enseignait. Les théologiens, les jurisconsulte, les médecins, eurent en lui un auditeur qui sut distinguer le vrai et le faux de leur science, et un écolier qui parla bientôt de la matière de ses études plus pertinemment que ses maîtres. Dans le même temps qu’il recevait le grade de maître de philosophie, le premier sur onze candidats, il expliquait publiquement Virgile, Cicéron, Tite-Live, Térence, qu’on croyait un auteur en prose, et dont les premiers exemplaires avaient été imprimés sous cette forme[1]. Il en rétablissait la métrique et en interprétait le sens et les beautés avec une sûreté de goût qui n’était ni de son temps, ni de son pays. On le voit tout à la fois composer des livres élémentaires, diriger une imprimerie, lire en public des discours et des déclamations à la manière des Latins de l’époque de Sénèque et de Quintilien, sauf que le goût en était meilleur et le but plus pratique.

Reuchlin avait alors avec les moines de Cologne une querelle qui fit grand bruit, et où le jeune Melancthon se trouva mêlé. Voici l’origine de cette querelle. Il y avait à Cologne un Juif apostat fort lié avec Hoocstrate, l’inquisiteur, et avec ses amis. Il leur dit qu’il a trouvé un moyen excellent de tirer des Juifs une grosse somme, sans difficultés et sous d’honnêtes prétextes. Il s’agit d’obtenir de l’empereur un édit qui oblige les Juifs à remettre tous leurs livres entre les mains du sénat de chaque ville, afin que tout ce qui n’est pas la Bible soit brûlé par les inquisiteurs. On espérait que les Juifs rachèteraient leurs livres, et c’était le prix de ce rachat que le Juif et l’inquisiteur comptaient se partager. L’édit est rendu ; tous les livres sont apportés à Francfort. Mais les Juifs avaient des amis auprès de l’empereur ; ils obtiennent que leurs livres seront soumis à l’examen de docteurs hébraïsans. Reuchlin, depuis long-temps le premier dans cette science, reçoit l’ordre de donner son avis. Caché dans son petit jardin de Stuttgard, où il achevait dans l’étude sa vie laborieuse et brillante, il ignorait l’intrigue du Juif de Cologne. Il se contente de noter, parmi les livres de religion, ceux qui attaquent le Christ, et sauve tous les autres, particulièrement ceux de grammaire et de médecine. L’empereur adopte son avis, les livres sont restitués aux

  1. Éloge funèbre de Mélanchton, par Heerbrand de Tubingue.