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GOETHE.

moyens à quelque état complet de l’existence, à penser que des utopies sociales puissent apaiser à jamais les contradictions, les souffrances qui consument l’esprit et le cœur de l’humanité. Le calme, la modération, une activité circonscrite dans un petit cercle, une contemplation incessamment plongée dans le monde des arts et de la science (celui peut-être où l’absence de l’harmonie se fait le moins sentir), voilà le secret de toutes ses créations, le but silencieux de toutes ses tendances ! L’enthousiasme, le désir (die Sehnsucht) comme l’entend Schiller, et pour lequel il n’y a pas de mot dans notre langue, la sensibilité, ne sont chez Goethe que des états de transition, qui correspondent, dans le développement de son génie, à ces périodes critiques que l’homme traverse pour arriver à la virilité.

À la mort de Schiller, lorsque son existence se dépouille de ses charmes les plus doux, Goethe cherche dans les études naturelles la seule consolation qui soit digne de lui, et, pour échapper à la réalité qui l’obsède, s’abîme dans les plus ténébreux problèmes de la nature. La bataille d’Iéna le surprend comme il termine la première partie de sa Théorie des couleurs, et, remis à peine du premier trouble, tandis que la guerre éclate et tonne, il revoit la Métamorphose des plantes, et se plonge dans la contemplation la plus profonde des natures organiques. À chaque pas qu’il fait, se confirment de plus en plus les pressentimens mystérieux de son ame avide d’ordre, de résultats et d’harmonie. Si d’un côté, dans le tumulte de la guerre, il déplore les liens les plus fermes dissous, l’édifice des siècles soudainement ébranlé, les conventions les plus saintes mises à la merci du hasard et de l’arbitraire ; de l’autre, il ne rencontre, dans le royaume de la nature, que l’action paisible des forces créatrices agissant dans leur sphère, la chaîne ininterrompue des développemens de la vie, et partout, même dans ses déviations apparentes, la révélation d’une règle sacrée. Ainsi, au milieu même des tempêtes du monde extérieur, le calme de son ame ne se dément pas, le domaine de ses facultés s’étend, son activité scientifique se retrempe et s’exerce. Alexandre de Humboldt lui dédie ses Idées pour servir à la Géographie des plantes ; ravi des points de vue nouveaux qui s’offrent à lui de tous côtés, il ne se donne pas le temps d’attendre la carte que l’auteur promet pour appendice à son livre, et, d’après de simples indications, compose en un moment un paysage symbolique qu’il envoie en retour à son ami.

À cette époque, l’académie d’Iéna, veuve de la plupart des membres qui avaient fait sa gloire, se trouvait menacée dans son exis-