Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/283

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
279
GOETHE.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

duc de Weimar que l’empereur français a dépouillé de son trône parce qu’il était demeuré fidèle à ses amis dans l’adversité, parce qu’il visita le duc de Brunswick, son oncle, au lit de mort, parce qu’il ne laissa pas mourir de faim ses compagnons de bivouac et ses frères. » À ces mots, il s’arrêta suffoqué, de grosses larmes ruisselaient sur ses joues ; puis, après un moment de silence : « Je veux chanter pour mon pays, je veux mettre en rimes nos désastres. Dans les villages, dans les écoles, partout où le nom de Goethe est connu, je chanterai la honte du peuple allemand, et les enfans apprendront par cœur mes complaintes, jusqu’à ce qu’ils deviennent hommes, et les entonnent en l’honneur de mon maître en lui rendant son trône. Voyez, je tremble des mains et des pieds, je n’ai pas été aussi ému depuis long-temps. Donnez-moi ce rapport, ou plutôt prenez-le vous-même ; jetez-le au feu, qu’il brûle, qu’il se consume, recueillez-en les cendres, plongez-les dans l’eau, qu’elle bouille, j’apporterai le bois ; qu’elle bouille jusqu’à ce que tout soit anéanti ; que la dernière lettre, la dernière virgule, le dernier point se soient évanouis en fumée, et qu’il ne reste plus rien de ce honteux manifeste sur le sol allemand ! »

Quel que soit son attachement pour la personne de Charles-Auguste, c’est avant tout ici le grand-duc de Weimar, la cause de l’Allemagne perdue qu’il déplore ; la destinée du prince passe avant la destinée de l’ami. À ce compte seulement Goethe donne des larmes et des regrets à Charles-Auguste ; car, pour ce qui est de l’ami, il sait bien que toutes les vicissitudes du sort ne peuvent rien sur lui. Avec le caractère impassible qu’on lui connaît, Goethe ne pouvait s’abandonner au lyrisme du moment, à cette expansion poétique qu’on ne rencontre que chez les natures exaltées, ardentes, subjectives. De ce sentiment que nous venons de lui voir exprimer, Körner ou Weber auraient tiré un de ces hymnes sacrés, de ces hurras sublimes que les étudians transportés entonnaient, en 1812, sur tous les champs de bataille de l’Allemagne ; lui, au contraire, le refoule dans son sein, et, reprenant au plus tôt la paix sereine du visage, s’en va, dans la solitude, façonner quelque beau marbre de Paros. Mais de ce que Goethe renfermait dans le mystère de son ame ces sentimens généreux, de ce qu’il n’a jamais laissé la multitude les surprendre chez lui, s’ensuit-il qu’il ne les ait point eus ?

On pense bien, d’après cela, quelle vive part Goethe prit à la fête, lorsque les évènemens de 1814 lui rendirent son bien-aimé souverain. Ce jour-là, Goethe fut à Weimar le véritable maître des cérémonies, il allait et venait, causant avec les bourgeois, donnant la main