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spéciale de Dieu, et l’école entière, et nous tous, désirons ardemment qu’il en soit chargé. Cependant Philippe résiste, par la seule raison qu’il est nommé et payé par votre grandeur pour enseigner le grec. Voilà pourquoi ma prière respectueuse est que votre grandeur veuille bien intimer à Philippe l’ordre de s’occuper de l’Écriture avec zèle, et, dût-on augmenter son traitement, il doit le faire, il faut qu’il le fasse[1]. »

Mélancthon, ne pouvant obtenir un congé régulier, cessa, de son propre mouvement, ses leçons. « On m’a pris mes heures, écrivit-il à Spalatin. J’ai dû, de nécessité, quitter ma chaire. » C’était sa manière de résister. N’étant pas homme à rompre, il dénouait.

Ni du côté de la théologie, ni du côté des lettres, la perspective n’était riante. L’électeur négligeait l’académie de Wittemberg, et Mélancthon osait s’en plaindre jusqu’à s’attirer des reproches de Spalatin. Il n’abondait dans la réforme que sur un point où les protestans se montrèrent toujours fort pressans, je veux dire l’application aux besoins des académies des revenus ecclésiastiques, restés vacans par suite des extinctions. « Les récompenses de la vertu et des études, écrit-il à Spalatin, sont toutes aux mains des marchands de messes. » « C’était le devoir des princes, dit-il ailleurs, d’éveiller et d’entretenir l’étude des lettres : mais ils continuent à être des Midas. » Il ne pensait guère mieux de son siècle que des cours, et il déplorait cette indifférence qui laissait enfouis dans la poussière tant de monumens de l’antiquité. « Souvent, écrit-il à Spalatin, quand je jette les yeux sur mes écrits, qui ne me sont guère moins chers que mes enfans, je gémis et je pense en moi-même : Les marchands de poisson en envelopperont leur denrée. »

Le traitement qu’il recevait, quoique supérieur à celui de ses collègues, suffisait à peine à tous ses besoins, et le paiement n’en était pas assuré ; mais, à force d’ordre, il trouvait moyen de se tenir dans ce milieu dont il parlait à ses amis, entre les dettes et l’avarice. Un aveu touchant à Spalatin nous fait voir à quel prix : « Tu peux, lui dit-il, apprécier par un fait quelle a été mon économie ; depuis mon mariage, ma femme n’a pas acheté une nouvelle robe[2]. » J’admire moins l’insouciance que Camérarius loue en elle du côté de la toilette ; elle avait fait de nécessité vertu.

Toutefois, en père prévoyant, Mélancthon eût été heureux de

  1. So soll und mustz er hieran. (Lettres de Luther.)
  2. Corp. ref., tom. I, no 306. — Il était marié depuis trois ans.